Ce décalage est particulièrement criant dans la définition commune des priorités. L’agenda européen pour la digitalisation du continent africain est perçu par les leaders du continent comme témoignant d’un manque de compréhension de la réalité du terrain. La digitalisation est un enjeu majeur pour les PME africaines, pour la créativité de start-ups et pour la création d’emplois, sans compter ses effets positifs dans le domaine de la santé. De nombreux acteurs demandent l’accès aux technologies satellitaires et l’installation de câble sous-marin de télécommunications. Cependant, il existe un enjeu d’accès : en Afrique subsaharienne, seule une personne sur cinq a accès à l’électricité et si la tendance actuelle se poursuit, moins de 40 % des pays africains atteindront l'accès universel à l'électricité d'ici 2050. Bien que les réalités puissent être radicalement différentes d’un pays africain à l’autre, promouvoir la digitalisation d’un continent dont une grande partie des foyers n’a pas accès à l’électricité peut témoigner d’un manque de réalisme.
La question climatique est également un sujet délicat. La transition verte et énergétique promue par l’UE sur un continent responsable d'environ 2 % des émissions mondiales de CO2 liées à l'énergie suscite l’incompréhension. Là où les Européens considèrent le gaz comme une énergie de transition ayant vocation à diminuer radicalement dans les prochaines décennies, les Africains le voient comme une source d’énergie stable nécessaire au développement économique du continent. La décision de 20 pays et 5 banques publiques de mettre un terme, à partir de fin 2022, à leurs investissements publics dans le pétrole, le gaz et le charbon à l’international est source d’incompréhension et d’inquiétude côté africain. Nombreux sont les acteurs africains reprochant aux Européens de ne pas être sensibles au besoin d’allier les énergies renouvelables à l’exploitation du gaz, une ressource plus fiable et moins polluante que le charbon et le fuel, pour répondre à la diversité des besoins du continent. De plus, l'Afrique est la région où la production de gaz connaît la croissance la plus rapide, avec un taux de croissance moyen de 5,6 % par an.
Enfin, la pandémie de Covid-19 n’est pas sans conséquences sur la relation. Bien qu’il s’agisse d’un facteur récent, la crise sanitaire a fait évoluer les priorités de nombreux acteurs, modifiant ainsi les équilibres et les possibilités d’évolution de la relation. Ainsi, la question des vaccins, que le Président sénégalais Macky Sall définit comme un traumatisme pour les Africains, témoigne aussi de ce dialogue de sourds entre continents. Alors que l’UE et la Chine se sont livrées à une compétition sur le nombre de doses envoyées au continent - largement remportée par les premiers malgré les apparences (140 millions, et 700 d’ici à la fin de l’année, contre 35 millions pour Pékin) -, les Africains ont pour objectif que celles-ci soient produites sur le continent, et effectivement distribuées à la population. L’Europe a commencé à s’emparer de cet enjeu en participant à une initiative accompagnant la création de centres de production de vaccins en Afrique du Sud, au Sénégal (via l’Institut Pasteur de Dakar) et au Rwanda notamment.
Qu’attendre de ce sommet ?
Ces difficultés, à la fois structurelles et conjoncturelles, dans la relation appellent au réalisme quant aux attentes à avoir de ce sommet. Sur le plan logistique, le fait que l’UA n’ait confirmé qu’au mois de décembre les dates des 17 et 18 février proposées par les Européens au mois d’octobre témoigne d’un certain manque d’engouement. Cela a provoqué un retard dans le calendrier : la rédaction et la négociation des conclusions du sommet se sont déroulées contre la montre.
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