Des secteurs comme la mode ou la beauté, jusque-là très éloignés du sujet, commencent à s'intéresser à la santé mentale. Peut-on y voir, selon vous, le signe d'un recul de la stigmatisation ?
Tout à fait, et c’est encore très récent. Des groupes leaders dans la beauté s’engagent, comme L’Oréal avec son programme Brave Together de Maybelline, contre l’anxiété et la dépression. Dans la mode, la jeune marque de streetwear Madhappy promeut des contenus positifs et un soutien local à ceux qui en ont besoin. Ce label est gender-free, promeut des égéries racisées, et a récemment rejoint le groupe LVMH. Cette tendance, le "Mental Wear", qu’on pourrait traduire par une intégration des préoccupations de la santé mentale dans l’industrie de la mode, promet d’être une tendance forte dans les années à venir.
Il y a évidemment, dans cette appétence des secteurs de la beauté et du luxe, une volonté de se différencier vis-à-vis de leurs concurrents. Mais on peut aussi penser que, après s’être emparés de l’environnement ou la question du genre, les acteurs de ces secteurs investiront à l’avenir le champ de la santé mentale car il correspond à une aspiration forte. Et cet engagement n’est pas que cosmétique. Par exemple, la pop star Selena Gomez, longtemps personnalité la plus suivie d’Instagram, a beaucoup pris la parole sur le trouble bipolaire dont elle est atteinte. C’est elle qui a produit la série 13 Reasons Why, qui parle de harcèlement scolaire et de suicide. Elle prolonge cet engagement avec sa marque de beauté inclusive, dont une part des bénéfices est reversée à des associations de santé mentale.
Il est vrai que les évolutions que j’ai décrites s’observent avant tout dans les pays anglo-saxons. La diffusion large de ces contenus dépasse très largement les frontières. Cependant, je conserve un regret : la frilosité de notre pays à aborder ces sujets avec la même décomplexion et le même naturel. Alors qu’il y a un intérêt grandissant de notre société pour la santé mentale, je constate chez certains décideurs encore trop d’appréhensions à se saisir du sujet. Je propose ainsi des conférences pour parler de santé mentale en entreprise. Lorsqu’elles ont lieu, c’est souvent grâce à des personnes déjà engagées sur le sujet, et leurs collaborateurs répondent massivement à l’appel. Mais encore souvent, l’évocation des termes "psychiatrie", "dépression" ou "addiction" continue de susciter beaucoup de craintes. On me dit que ça va être "effrayant", "déprimant" ou que l’entreprise n’est pas le lieu adéquat car non concernée… Des réflexes de l’ancien monde qui seront bientôt des exceptions, je l’espère !
Copyright : Gabriel BOUYS / AFP
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