Précarisés, isolés, en proie à des parcours scolaires ou universitaires chaotiques et à un marché du travail contracté, les jeunes subissent de plein fouet les effets de la crise sanitaire et montrent des signes de grande vulnérabilité psychologique. Depuis plusieurs mois, de nombreuses voix s’élèvent pour alerter sur les effets délétères de la pandémie sur la santé mentale des jeunes. À l’heure où les pouvoirs publics multiplient les annonces sur le sujet (Assises de la psychiatrie, chèques-psy…), nous consacrons une série de billets sur les jeunes face à cette "vague psychiatrique".
Le Pr Richard Delorme de l’hôpital Richard Debré répond aux questions de Johanna Couvreur, cheffe de projet santé mentale.
Quelles sont les conséquences de la crise sanitaire sur la santé mentale des mineurs ?
La crise Covid-19 est intervenue alors même que de nombreuses menaces pesaient déjà largement sur l’enfance, comme l’a souligné, en février 2020, le rapport de la Commission OMS/UNICEF publiée dans le Lancet. Même en France, avant cette épidémie, les enfants étaient déjà confrontés à la question des changements climatiques, des enjeux écologiques, aux attaques terroristes, à une augmentation progressive de la paupérisation de leurs parents, à l’accroissement de la consommation des substances illicites et à la dépendance aux outils numériques, aux problèmes de migration, comme en témoignent les nombreux mineurs isolés arrivés en France, à la malnutrition pour les plus démunis, aux difficultés de logement ou d’accès aux soins, en particulier pour la maladie mentale.
Dans ce contexte, la survenue de la pandémie et le confinement qui s’en est suivi se sont accompagnés d’une augmentation importante des symptômes d'anxiété, de dépression, d’irritabilité, de troubles alimentaires chez les enfants et les adolescents (de 30 à 60 % selon les études et les âges). Les parents - pour un tiers d’entre eux - rapportent plus de difficultés émotionnelles chez leurs enfants sous la forme d’une majoration de l’agitation, des colères ou de difficultés de sommeil. Ces retours d’expérience soulignent que les effets de la crise sont ressentis même par les plus jeunes, ce que confirme une étude canadienne récente qui a montré que les enfants de 2-5 ans étaient également affectés. Plus grave encore, une étude japonaise a retrouvé une hausse du suicide pendant la deuxième vague de l'épidémie - alors qu'il y avait eu une baisse en première vague - chez les enfants et les adolescents de l’ordre de 50 % (en comparaison à + 37 % chez les jeunes femmes), et une absence d’augmentation chez les hommes. Ces travaux, et d'autres, indiquent par ailleurs que cette crise exacerbe les fragilités dans les catégories les plus vulnérables de la population.
En France, peu d’études ont à ce jour été publiées rapportant l’impact de l’épidémie sur la santé mentale des enfants. Cependant, à l'hôpital Robert Debré (Paris), un des 2 plus grands hôpitaux pédiatriques d’Europe, nous avons observé un doublement du nombre de tentatives de suicide chez les enfants âgés de 15 ans et moins, par rapport aux dix années précédentes. Décembre 2020 et janvier 2021 ont été les deux mois de plus fortes croissances, +200 et +150 % respectivement. Nos observations sont tout à fait corrélées à celles des États-Unis ou encore de l’Angleterre. Habituellement, chez les moins de treize ans, on observe un écart entre le geste suicidaire qui peut être très grave (défenestration, strangulation…) et la volonté suicidaire qui, elle, est plutôt faible. Aujourd’hui, nous faisons le constat inverse et nous nous retrouvons face à des enfants dont le désir de mort est fort : c’est une situation inédite.
Qu’a révélé cette situation sur notre système de soins psychiatriques ?
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que depuis dix ans en France, comme dans la plupart des pays européens ou d’Amérique du Nord, la demande de soins en santé mentale pour les enfants augmente de 10-20 % par an aboutissant à une saturation progressive des dispositifs de soins, en particulier des soins en urgences. Un rapport sénatorial de 2017 sur la situation de la psychiatrie des mineurs en France faisait le constat de l’inadéquation de l’offre par rapport aux besoins et de difficultés à prendre en charge l’urgence. Alors même que la crise Covid-19 n’avait pas débuté, les délais d’attente, pour une première consultation dans un centre spécialisé pédopsychiatrique pour enfants, pouvaient être de plusieurs mois à Paris, voire au-delà d’un an en banlieue ou en province.
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