Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
28/02/2023

Salon International de l'Agriculture 2023 : le monde agricole face à la transition écologique

Salon International de l'Agriculture 2023 : le monde agricole face à la transition écologique
 Hugues Bernard
Auteur
Chargé de projets - Climat et environnement

Le salon de l'agriculture a démarré, ce samedi 25 février à Paris, par une visite de plus de 13 heures du Président de la République. Dans un contexte bouleversé par la guerre en Ukraine, les sujets de sécurité alimentaire, de coût des matières premières et de l’alimentation sont toujours au cœur des préoccupations du monde agricole et de l'industrie agroalimentaire. Cet enjeu conjoncturel s’ajoute à des défis plus structurels comme le dérèglement climatique ou l'attractivité globale de la filière agricole. 

Dans ce cadre, l'Institut Montaigne propose, en s’appuyant sur son rapport "En campagne pour l'agriculture de demain" (2021), une série d’articles présentant trois grands défis du secteur alimentaire (agricole et agro-alimentaire). 

Le premier repose sur l’érosion de la compétitivité de la "Ferme France" face à une offre agricole internationale moins coûteuse. Pour ce deuxième article, nous nous intéressons aux défis posés par la transition écologique du secteur agricole. Un troisième article à paraître portera sur le déficit d’attractivité de la filière dans une période charnière de renouvellement des actifs agricoles. Ces trois grands défis menacent la souveraineté alimentaire de la France et de l’Europe.

Le monde agricole et la transition écologique 

"Éviter l’ingérable, gérer l'inévitable". Voilà la double injonction de la transition écologique. La première renvoie à la nécessaire réduction de nos émissions de gaz à effet de serre (GES) pour éviter l’ingérable : un dépassement du seuil de + 2 °C, par rapport à l'ère pré-industrielle, au-dessus duquel le dérèglement climatique aurait des conséquences irréversibles sur le vivant (la biodiversité comme les ressources naturelles). Face à cela, la limitation du réchauffement climatique (ou son atténuation) est donc notre premier objectif. Seulement, même en mettant en œuvre l'ensemble des recommandations d’atténuation, l'agriculture devra faire face à un dérèglement global du climat, déjà en cours, ayant des conséquences sur l'ensemble de la filière. "Gérer cet inévitable" s’impose alors (ou l’adaptation au changement climatique), par la transformation de nos modes de production et de consommation pour assurer la résilience de notre système agricole. 

L'agriculture doit relever un défi simultané d'atténuation et d'adaptation au réchauffement climatique

L'agriculture est le deuxième poste d'émissions de GES en France, responsable de 21 % des émissions totales, soit près de 80 millions de tonnes équivalent CO2. Chose rare : le dioxyde de carbone (CO2) n’est pas le principal GES produit. Le CO2, émis par la consommation d'énergie sur l’exploitation (tracteurs roulant au diesel par exemple), ne représente que 13 % des émissions totales de l'agriculture. 

L'agriculture est le deuxième poste d'émissions de GES en France, responsable de 21 % des émissions totales, soit près de 80 millions de tonnes équivalent CO2.

En majorité, l'activité agricole rejette du méthane (CH4), 45 % du total, provenant de l'élevage des ruminants et des déjections animales, ainsi que du protoxyde d’azote (N2O), 42 % du total, lié à l’utilisation d’engrais azotés. La production de N2O et de CH4 constituent un défi climatique majeur. Le N2O est connu pour avoir un potentiel "réchauffant" 25 fois supérieur à celui du méthane qui est lui-même 80 fois plus réchauffant que le CO2 lorsqu'il est libéré dans l'air, à masse équivalente. 

Malgré son impact écologique (climatique et environnemental), aucune stratégie majeure ne semble prendre la mesure du problème. Depuis les années 1990, les émissions climatiques liées à l'agriculture n’ont baissé que de 8 % quand sur la même période, celles de l’industrie et de l’énergie ont diminué respectivement de 46 % et de 41 %. L’objectif posé par la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) de réduire de 30 % nos émissions de GES d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990 est encore loin. 

Par ailleurs, l’impact environnemental global du système agricole actuel est encore mal pris en compte par les politiques publiques. L'agriculture est la première activité consommatrice d’eau (avec 45 % du total), pesant largement sur les ressources hydriques lesquelles se raréfient avec le changement climatique. L’agriculture intensive a également un coût non négligeable en matière de biodiversité végétale et animale et de santé humaine. Un travail de l'ONU répertorie à ce titre dix risques sur l’environnement et la santé liés à l'agriculture industrielle. Tout comme pour les émissions, ces impacts collatéraux de l’agriculture (ou externalités négatives) devraient être pris en compte dans l’élaboration des politiques publiques. Le défi est d’augmenter la durabilité d'un système agricole qui puisse produire les besoins en nourriture de la population tout en ayant le moins d'impact possible sur un environnement de plus en plus fragile. 

Dans le même temps, des records climatiques sont atteints et affectent directement les cycles et les conditions de production agricole. L'année 2022 fut la plus chaude jamais enregistrée en France depuis le début du XXème siècle. L'année 2023 semble poursuivre cette sombre tendance : au 20 février 2023, Météo France relevait le 30ème jour successif sans pluie majeure en France, un record absolu en hiver depuis le début des relevés. Une étude d'ORACLE (Observatoire Régional sur l'Agriculture et le Changement Climatique) montre que le changement climatique, favorisant les stress hydriques et thermiques, expliquerait entre 30 et 70 % de la stagnation du rendement du blé tendre en France. Par ailleurs, la France ne fait pas exception en Europe.

Ces impacts collatéraux de l’agriculture (ou externalités négatives) devraient être pris en compte dans l’élaboration des politiques publiques.

Le Haut Conseil pour le Climat, dans son rapport, "Renforcer l’atténuation, engager l'adaptation" (2021), explique que les pertes de récoltes liées aux sécheresses auraient été multipliées par trois entre 1961 et 2018 au sein de l'Union européenne. Plusieurs tendances pessimistes ressortent des prospectives climatiques et font état d’une accentuation croissante des phénomènes de sécheresses hivernales et estivales. 

L'accentuation des épisodes climatiques extrêmes, la modification du climat et la déplétion des ressources naturelles obligent l’agriculture à s'adapter. Une évolution des aires de production est devant nous, avec une remontée des cultures annuelles vers le Nord. Il existe des adaptations tactiques que les agriculteurs initient naturellement par apprentissage comme les changements de variété et de calendrier de pâturage des animaux. Il existe aussi des adaptations stratégiques qui obligent à développer de nouveaux projets (comme les infrastructures hydrauliques). Il y aura également des changements systémiques qui obligeront à revoir de fond en comble le système d’exploitation pour qu’il soit moins consommateur en ressources naturelles (eau particulièrement) et moins dépendant des intrants fossiles (constitués à majeure partie de gaz). 

Trois pistes de réflexions pour faire évoluer les pratiques agricoles face au dérèglement climatique

Pour accélérer la transition écologique de l'agriculture, le rapport de l'Institut Montaigne, "En campagne pour l’agriculture de demain" (2021) proposait une série de recommandations.

Pour réduire nos émissions de GES, un premier effort consiste à quantifier l'impact climatique d’une activité économique. L’amplification des bilans carbone dans les exploitations agricoles doit permettre de mieux identifier les leviers de réduction d’émissions et de stockage de carbone dans chaque exploitation. 

Pour réduire nos émissions de GES, un premier effort consiste à quantifier l'impact climatique d'une activité économique.

La loi de 2010 portant l'engagement national pour l’environnement, dite Grenelle II, oblige les entreprises de plus de 500 salariés à effectuer et afficher un bilan carbone. Considérant la taille des acteurs économiques du secteur, seuls quelques très grands groupes de l’agro-alimentaire sont tenus légalement par ce reporting. Pour les autres, cette pratique - peu connue, lourde administrativement et coûtant entre 2 500 et 3 000 euros - est rarement utilisée.

Selon un sondage de 2022, seulement 1 agriculteur sur 10 a déjà réalisé un diagnostic carbone. Aujourd'hui, ce dispositif est pris en charge à 90 % par une enveloppe dédiée du plan France Relance. Il pourrait être utile de pérenniser ces aides en les ciblant vers les filières les plus émettrices de GES et vers celles qui ont le plus haut potentiel de stockage de carbone dans les sols (élevage bovin, grandes cultures par exemple). 

Dans le même temps, l'accélération de la baisse de la consommation d'intrants fossiles doit se poursuivre. Le recours aux intrants fossiles provoque des impacts irréversibles sur les sols, l’eau et la biodiversité. Réduire leur consommation constitue également un levier de sécurité alimentaire. La guerre en Ukraine a fragilisé nos approvisionnements en engrais : la Russie représente 40 % des exportations mondiales d’engrais azotés, 20 % du phosphore et 40 % de la potasse avec la Biélorussie. Toutefois, de nombreuses exploitations agricoles sont aujourd’hui dépendantes de l'utilisation d’intrants, principalement pour lutter contre des parasites destructeurs. Il convient alors de veiller à la maturité et à la compétitivité des alternatives existantes pour ne pas plonger les filières et les décideurs dans des impasses techniques, budgétaires et politiques. La décision du 19 janvier 2023 de la Cour de Justice de l'Union Européenne d'interdire les néonicotinoïdes (insecticides utiles pour les cultures de betterave) a provoqué de vives réactions chez les agriculteurs français, inquiets d'être laissés sans alternative existante face à une évolution réglementaire rapide. À terme, la France doit activer davantage les leviers permettant de réduire le recours aux engrais azotés fossiles. La combinaison des solutions - "naturelles" et chimiques de synthèse - est une voie à poursuivre par la formation des agriculteurs et la recherche de nouvelles innovations alternatives. Les engrais produits à base d'hydrogène vert sont une voie prometteuse, encore faut-il disposer des infrastructures pour les produire en France ou en Europe. 

Enfin, une gestion plus durable de la ressource en eau constitue un axe de travail essentiel. Conséquence du dérèglement climatique, les périodes sèches s’allongent de plus en plus, empêchant le rechargement classique des nappes. Dès lors, l'accès à l'eau et sa préservation deviennent des éléments clés du maintien de l'activité agricole. À l'heure actuelle, les initiatives d'adaptation, comme la construction de méga bassines (pour stocker l'eau de pluie hivernale et la réutiliser en été quand l'eau de pluie vient à manquer), créent des conflits d’usage insolubles dans certains territoires. Ces difficultés politiques sont symptomatiques d’un débat encore lacunaire autour d’une meilleure gestion de l'eau en France. Lors de l'inauguration du salon samedi 25 février, Emmanuel Macron a annoncé un "plan de sobriété sur l’eau" en anticipation d’un été 2023 qui s'annonce particulièrement sec. Il apparaît de plus en plus évident que des alternatives à l’eau potable doivent être utilisées lorsqu’elles existent. Un débat réglementaire doit s’ouvrir autour de l'arrêté du 21 août 2008 qui encadre la réutilisation des eaux de pluie. Aujourd'hui, la réutilisation intérieure des eaux de pluie (alimentation des chasses d’eau de WC, lavage des sols, etc) est interdite dans les établissements "recevant du public vulnérable" (crèche, cabinets médicaux, écoles primaires…) limitant considérablement le potentiel de réutilisation. Au regard de la situation de l'eau, la France doit s’équiper d'instruments modernes pour économiser l'eau potable et optimiser son utilisation dans les secteurs les plus dépendants.

 

Copyright : OLIVIER CHASSIGNOLE / AFP

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne