De la confrontation à la négociation
Le départ des militaires français de l'opération Barkhane du Mali, fin août 2022, et l'extension progressive d’une insurrection jihadiste au-delà du Sahel, vers le Sénégal et les pays du Golfe de Guinée, confirment la nécessité pour les autorités confrontées à cette équation sécuritaire difficile de changer ou diversifier leurs stratégies.
Les deux organisations jihadistes (la branche d’Al Qaïda au Sahel (JNIM) et la wilaya Sahel de l'État Islamique) ont l’initiative, au Mali et au Burkina Faso, et, force est de constater, que la seule solution militaire ne suffira pas à mettre un terme à leur progression. La pleine souveraineté et le contrôle de l'ensemble de leur territoire échappent désormais à ces États.
Pour cette raison, le dialogue national inclusif malien, qui s’est tenu en décembre 2019, avait permis de souligner dans ses conclusions la nécessité d’engager un dialogue politique avec les deux leaders d'Al Qaïda au Sahel : Iyad Ag Ghali, émir du JNIM, et un de ses adjoints, Hamadoun Kouffa, figure de la communauté peule, émir des katibates du Massina et en charge de l'expansion de l’insurrection dans le Sud du pays. En réponse, Iyad ag Ghali, mais aussi son supérieur, l’ancien émir d’AQMI, Abdelmalek Droukdal, avaient publiquement annoncé, dès mars 2020, leur disponibilité à dialoguer, en demandant au préalable le départ des forces militaires étrangères. Sans la venue des mercenaires russes de Wagner, on aurait pu observer que c’était désormais chose faite.
Fort de ce constat, cette rencontre des volontés aurait dû entamer une négociation. Pourtant, il n'en est encore rien et les observateurs ont attribué, un peu vite, cette absence de dialogue politique à un blocage supposé de la France qui demanderait à ses partenaires de ne pas négocier "avec les terroristes", position exprimée par le Président Macron en écho aux déclarations du sommet de Pau. Cette analyse est erronée et la position française a été caricaturée, ou mal comprise, participant ainsi au flou qui persiste autour de cet enjeu des négociations, dont les potentiels bienfaits ont déjà été admirablement analysés (notamment par l’International Crisis Group). La France reste ainsi engagée, sans ambiguïté, dans la lutte contre les organisations terroristes (Al Qaïda, État Islamique), souhaitant rappeler à ses partenaires la nécessité d’opérer une distinction entre ces dernières, recevant leurs ordres de Syrie, d'Afghanistan ou d'Iran, et les recrutés locaux, souvent moins fanatiques, embarqués dans une confrontation avec leurs institutions.
Il s'agit donc ici de revenir en détail sur la réalité des enjeux sous-tendus par ces négociations, qui varient en fonction des acteurs de la confrontation. Les situations sont différentes dans chaque pays et en fonction du positionnement de chaque acteur, c'est cette grille de lecture supplémentaire qui manque et permet d'expliquer en partie l'absence, pour l'heure, de dialogue de réconciliation nationale efficace susceptible d’apaiser les violences.
Sortir du flou en caractérisant chaque acteur : l'épicentre malien
Une confusion importante persiste dans la description des objectifs et des attentes de chacun des acteurs impliqués dans cette guerre civile. Ce flou permet à la rhétorique nationaliste des autorités qui se sont succédés à Bamako de désigner d’un même terme ("terroriste") tous les groupes armés auxquels ils font face dans le nord et le centre du pays.
Cette confusion a été largement entretenue par Al Qaïda, qui, dès 2010-2011, a demandé à ses branches dans le monde de favoriser l'émergence de groupes islamistes armés locaux pour disparaître derrière ces paravents. C'est précisément ce qu'il s’est passé, en 2012, dans le nord du Mali occupé, avec la création d'Ansar Al Charia et d'Ansar Eddine, puis, en 2017, avec la fusion des groupes au sein du JNIM. Cette stratégie de confusion a permis de légitimer sur le plan social et politique des groupes locaux, pourtant largement pilotés ou soutenus en coulisse par des vétérans du jihad global, considérés comme des "jusqu’au boutistes" difficilement réintégrables à la vie civile.
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