Selon cette même étude, la crise du coronavirus aurait "accentué ce conflit de valeur entre l’opinion et le régime" : l’irritation et la colère se portent sur le pouvoir central, dont le Président, et non sur les gouverneurs (dont le taux d’approbation dans l’opinion dépasse pour la première fois en avril celui de Poutine – mettant à mal le mythe du "bon tsar et des mauvais boyards"). D’autres enquêtes venant d’autres instituts (la haute école d’Économie par exemple), signalent aussi que la "demande d’autorité" cède le pas au souhait d’un rééquilibrage des pouvoirs. Une autre enquête menée par l’Institut Levada du 22 au 24 mai indique que 28 % des personnes interrogées se déclarent prêtes à manifester dans la rue. Les jeunes de 18 à 24 ans seraient 40 % dans ce cas et les personnes âgées de 40 à 54 ans seraient 35 %.
De façon très nette, les sondages et les études d’opinion laissent penser que la base traditionnelle du pouvoir de Poutine tend à se rétrécir. Elle était constituée historiquement des fonctionnaires et des retraités, auxquels s’étaient ajoutés les entrepreneurs et depuis la Crimée les jeunes. Une grande partie des retraités sont mécontents depuis 2018, les entrepreneurs s’éloignent, les jeunes se détournent du poutinisme.
L’entourage du Président Poutine en est-il conscient ? La réponse est oui bien sûr, et c’est bien pourquoi le choix a été fait de ne pas attendre l’automne pour faire voter le peuple. Ce qui tient lieu de campagne officielle en faveur du "référendum" fait d’ailleurs l’impasse sur la question des nouveaux mandats ouverts au Président. L’accent est mis sur les amendements "identitaires" : droits sociaux, place de la langue russe, refus du mariage gay, suprématie de la loi nationale sur le droit international etc.
Il y a plus : les autorités se montrent extrêmement sensibles aux commentaires qui sont faits sur la popularité du Président. L’agence Bloomberg s’est attirée les foudres de l’ambassade de Russie à Washington et d’autres officiels russes (le Président de la Douma lui-même) pour avoir cité des résultats d’enquêtes concordants avec les conclusions du centre Levada. Certains commentateurs russes parlent à ce sujet d’une "fétichisation de l’image du Président" et en donnent la raison suivante : dans la Russie d’aujourd’hui aucune institution ne bénéficie de l’adhésion de la population, aucun parti au vrai sens du terme n’existe, Vladimir Poutine n’est pas l’héritier d’Eltsine, l’ensemble du système repose sur la popularité personnelle du Président.
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