Dans les conclusions, qu’ils ont adoptées, les chefs d’État et de gouvernement se félicitent de la désescalade intervenue en Méditerranée orientale et de la reprise du dialogue gréco-turc, ils soulignent que l’UE est prête à établir des "contacts avec la Turquie de manière progressive, proportionnée et réversible dans le but de renforcer la coopération dans un certain nombre de domaines d'intérêt commun" dont l’Union douanière, la circulation des personnes et la poursuite du financement pour venir en aide aux réfugiés syriens. Tout en estimant que ces conclusions avaient été écrites "sous l'influence de plusieurs États-membres qui ont une vision étroite et unilatérale des relations UE-Turquie", les autorités turques ont salué ce texte qui "témoigne d’une volonté d’avancer sur la voie d’un agenda positif", rapporte le quotidien turc de langue anglaise Hürriyet Daily News. Le déplacement en Turquie, le 6 avril, de Charles Michel, qui a marqué "l'importance du maintien de l’attitude positive et modérée d'Ankara", et d’Ursula von der Leyen, a pour but de préparer les décisions qui seront prises au conseil européen de juin prochain.
Promouvoir la coopération avec la Chine en dépit de la question des Ouïgours
C’est aussi le 25 mars que le Ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi était reçu par Erdoğan et Çavuşoğlu. Pour Pékin, cette visite témoigne de l’importance de la Turquie comme acteur de la zone indo-pacifique aussi bien pour contrecarrer les efforts de mobilisation de Washington que pour participer aux "nouvelles routes de la soie", observe le journaliste Metin Gurcan. Ankara mise pour sa part sur le développement de son influence économique en Asie centrale, à la faveur du cessez-le-feu conclu dans le Haut-Karabakh, qui prévoit l’ouverture d’un corridor assurant des liaisons entre la Turquie et cette région. Le dossier afghan fait partie des domaines de coopération, souligne Metin Gurcan, alors que Moscou et Pékin ont récemment proposé la création d’une "plateforme de dialogue sécuritaire" dans cette zone. Trois autres points étaient à l’agenda des entretiens turco-chinois, note le Hürriyet : le cinquantième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques ; la coopération dans la lutte contre le Covid-19 ; la question ouïgoure. Selon le quotidien turc, Ankara mise sur le potentiel des échanges économiques avec la Chine (20 Mds $), très déséquilibrés en faveur de Pékin.
Dans l’immédiat, les autorités turques attendent les livraisons de vaccins chinois (50 millions de doses promises, seulement 15 millions livrées). Sur la répression des Ouïgours, qui mobilisait voici quelques années la diplomatie turque, Ankara a mis depuis 2016 une sourdine à l’expression de ses préoccupations (en 2009, Erdoğan avait imputé à Pékin un "génocide"), même si le Ministre turc des Affaires étrangères a assuré avoir "fait part de notre sensibilité et de nos réflexions" à ses interlocuteurs chinois. Ceux-ci attendent de la Turquie qu’elle ratifie un traité bilatéral d’extradition signé en 2017, mais très critiqué par les défenseurs des droits de l'homme (la communauté ouïgoure réfugiée en Turquie compte plus de 40.000 personnes). Il est vrai que la Chine, qui a acquis Kumport, troisième port turc pour les containers, situé près d’Istanbul, est désormais le deuxième partenaire commercial de la Turquie, remarque la FAZ, et que les flux financiers en provenance de Chine contribuent à stabiliser la livre turque, très affaiblie. En 2019, la banque centrale chinoise avait accordé un crédit d'un milliard de dollars pour soutenir la monnaie turque. Entretemps, les difficultés économiques du pays n’ont fait que croître, la décision du Président turc de limoger, une nouvelle fois, le gouverneur de la banque centrale a accentué les craintes des investisseurs, affaibli la livre, épuisé les réserves de change, alors que l’économie turque est très dépendante des importations.
Quelles sont les raisons de cette "offensive de charme" ?
Ce "moment de modération" dans la politique turque s’explique, moins par la crainte d’une réaction européenne forte que par un durcissement attendu de l’attitude de Washington, estime Günter Seufert, chercheur à l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité (SWP).
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