Cette "erreur" de la diplomatie russe n'est pas compensée par les bénéfices qu'elle pourrait retirer d'un soutien au plan du secrétaire d'État Blinken, car, explique ce spécialiste de l'Afghanistan, le MID ne pouvait ignorer que la réunion ne déboucherait pas sur une percée, alors que la décision de ne pas associer l'Inde aura, pour les relations avec ce pays, des effets négatifs à long terme. Delhi a ainsi reçu un "message clair que, dans certaines circonstances, la Russie pouvait sacrifier ses intérêts", marque Andreï Serenko. Moscou développe ses liens politico-militaires avec le Pakistan, sous la forme d'exercices militaires et de livraisons d'armes, ajoute la Nezavissimaïa gazeta. Parallèlement, Moscou s'inquiète de l'impact du rapprochement entre Delhi et Washington sur les ventes d'armement, les États-Unis - devenus ces dernières années le deuxième fournisseur de Delhi, loin cependant derrière la Russie - ayant menacé de sanctionner l'Inde, au titre de la loi CAATSA, pour l'achat des S-400.
...et les experts à s’interroger sur l’attitude que devrait adopter la Russie
Dans le monde actuel, traversé par des "mouvements tectoniques", tous les États veulent élargir le cercle de leurs interlocuteurs pour disposer de marges de flexibilité, estime Fiodor Loukjanov. La Russie doit éviter une situation où elle serait contrainte de "choisir" entre Delhi et Pékin, il s'agit donc de réduire au minimum les réactions "épidermiques" suscitées en Inde par la politique chinoise de Moscou et les effets des gestes effectués par l'Inde en direction des États-Unis, conseille cet expert russe. Dans le même temps, il faut éviter que la coopération de la Russie avec des États tiers ne soit perçue comme une menace par ses partenaires traditionnels, en faisant preuve de transparence sur ces contacts. La situation régionale sera d'autant plus stable que le nombre d'acteurs impliqués est important (cf. le Pakistan), estime le chercheur. Les problèmes accumulés entre Delhi et Pékin rendent inévitable la recherche de soutiens extérieurs, mais les dirigeants indiens savent qu'il est risqué de se reposer exclusivement sur la stratégie américaine, susceptible de mener à une confrontation avec la Chine, c'est pourquoi, d'après Fiodor Loukjanov, le "Quad" a un intérêt, mais aussi des limites.
La Russie doit arrêter une stratégie dans l'indo-pacifique, souligne Alexeï Kouprianov, soit elle soutient sans condition les actions chinoises et se résout à voir l'Inde dériver encore plus vers les États-Unis, soit elle entend être un acteur indépendant dans la région, renforce sa présence politico-militaire et coopère activement avec l'Inde et d'autres États du continent, ce qui signifie un appui sélectif à Pékin et la reconnaissance de l'existence en Asie de deux grands partenaires traités de manière égale. Or, pour l'instant, Delhi considère que la politique russe se réduit aux ventes d'armes et de centrales nucléaires et à l'approbation de toute action chinoise. Les dirigeants chinois, d'après le chercheur de l'IMEMO, n'ont pas conscience de la manière très négative dont leur comportement, par exemple l'incident frontalier avec l'Inde en 2020, est perçu par leurs voisins. La Russie pourrait aider à cette prise de conscience, mais elle aussi est peu à l'écoute de son "partenaire stratégique privilégié" indien. Son approche de la zone indo-pacifique demeure indiscriminée, regrette Alexeï Kouprianov, Moscou refuse d’admettre que les différents pays concernés ont leur propre conception de cet espace.
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