Dans l'entretien accordé au quotidien britannique à la veille de la Conférence de Munich, le Président de la République invite Pékin à faire le choix de la coopération avec les membres occidentaux du Conseil de sécurité des Nations unies. "Américains et Européens ont un intérêt commun à disposer d'un instrument de dissuasion, ou plus exactement de marchandage, sur la Chine", explique à la Nezavissimaïa gazeta Alexander Lomanov, directeur adjoint de l'Institut Primakov, motivation très présente, selon lui, chez les Européens. Car, derrière le discours occidental sur les droits de l'homme, "il n'y a pas de véritable alliance en mesure de causer un dommage économique ou politico-militaire à la Chine, les Européens ne veulent pas perdre les profits tirés de leurs relations économiques", affirme le chercheur russe.
Cette idée d'une UE surtout sensible à l'argument économique est reprise à Pékin comme à Moscou. "Les analystes chinois disent que le message de Biden était clair et prévisible et que les États-Unis veulent mobiliser l'UE pour contenir la Chine parce qu'ils manquent de ressources politiques et se débattent dans des crises internes, mais la volonté de l'UE de coopérer avec la Chine en raison d'intérêts mutuels substantiels est tout aussi claire", écrit le quotidien chinois Global Times, qui relève dans "les interventions des dirigeants européens un manque d'intérêt pour une confrontation". Comme l'a indiqué au journal Li Haidong, professeur de relations internationales, "il n'y a pas lieu d'occulter les différences qui existent dans de nombreux domaines [entre la Chine et l'UE], mais ces frictions et désaccords peuvent être réglés par la négociation". "La Chine est peut-être le thème le plus complexe et sensible dans les discussions du G7", analyse Andrey Kortunov. "Joe Biden préférerait bâtir un front occidental uni anti-chinois et éviter d'avoir à résister seul à Pékin", le directeur général du Russian International Affairs Council (RIAC) jugeant peu probable un échec de la ratification du CAI, qui serait motivé par le désir des Européens de "faire plaisir à leurs partenaires américains".
La Russie offre un autre exemple de différences d'approche entre alliés
Dans son intervention de 18 minutes les défis posés par Moscou et Pékin ont été évoqués, chacun pendant environ deux minutes, a calculé Bfm.ru, mais c'est à propos de la Russie que Joe Biden s'est montré le plus précis, relève la FAZ, "accusant le Kremlin d'attaquer nos institutions et de tenter de saper nos démocraties et le Président Poutine de chercher à affaiblir le projet européen et notre alliance", paroles qui font écho aux propos d'Angela Merkel sur les "menaces hybrides émanant de Russie et visant les États membres de l'UE". Le Président des États-Unis et la Chancelière, rapporte le quotidien de Francfort, ont dressé un constat voisin sur le caractère infructueux des efforts déployés en Ukraine dans le cadre du processus de Minsk. Le discours tenu par le Président français sur la "nécessité du dialogue avec la Russie, indispensable, pour que nous puissions vivre en paix" se distingue de l'analyse partagée à Berlin et Washington, note le FT. "E. Macron a évoqué la nécessité d'un "nouvel agenda de sécurité" et d'un "dialogue avec Moscou" quelques minutes après qu'A. Merkel ait dressé un constat d'échec de toutes les tentatives de dialogue dans le cadre du processus de Minsk auquel la France participe", s'étonne Die Welt. "Le dialogue plus positif recherché avec Vladimir Poutine et les efforts de 'reset' n'ont mené nulle part", tranche le New York Times, qui en veut pour preuve "l'humiliation" subie par Josep Borrell à Moscou.
Dans l'entretien accordé au FT à la veille de la Conférence de Munich, le Président Macron s'interroge sur la pertinence de l'OTAN, "alors que le pacte de Varsovie n'existe plus". "Nous continuons, dit-il, à combattre une idéologie ou une organisation qui n'existe plus avec une logique géopolitique qui n'existe plus et qui continue à fracturer l'Europe". Andrey Kortunov y voit une certaine proximité avec les déclarations de Vladimir Poutine sur l'OTAN et l'idée d'une "grande Europe" mais, observe le chercheur du RIAC, le Président russe ne s'est jamais exprimé de manière aussi critique sur le rôle de l'ONU qu'un E. Macron, favorable à une réforme du conseil de sécurité et à une limitation du droit de véto. "Il est remarquable que le dirigeant français reprenne presque mot pour mot ce qu'a dit son homologue russe V. Poutine dans l'une de ses interventions", écrit Vzgliad, qui estime néanmoins qu’on ne peut accuser E. Macron d'être pro-russe, "son constat sur la prégnance d’une idéologie dépassée s’appliquant aussi bien à la Russie qu’à l'Occident". "Il y a longtemps qu'en France, on se montre critique de l’esprit de guerre froide", remarque dans Vzgliad Sergueï Fiodorov, qui rappelle l'héritage du général de Gaulle, aussi "E. Macron, qui a parlé de la 'mort cérébrale de l'OTAN', ne fait que répéter les thèses de ses prédécesseurs, et notamment de N. Sarkozy".
La conférence tirait vers sa fin et le nom d'Alexeï Navalny n'avait pas été prononcé, relève la Deutsche Welle, ce qu’a fait le Premier ministre britannique dans une intervention que Peter Ricketts juge "bien conçue". Des échanges, l'ancien ambassadeur britannique à Paris, administrateur du Royal United Services Institute (RUSI) retient que "le Président Macron s'est livré à un plaidoyer inspiré de l'autonomie stratégique européenne, tandis que la chancelière a marqué, certainement à propos des relations économiques avec la Chine, que les intérêts européens et américains ne coïncidaient pas toujours". "Réconcilier les approches américaine et européennes sera, ces quatre prochaines années, une question centrale des relations transatlantiques et l'une des conséquences inévitables du Brexit c'est que le Royaume-Uni observera ce débat à distance", déplore Peter Ricketts. Thomas Jäger regrette à ce propos que les Européens n'aient pas mis à profit les années Trump pour "prendre leur destin en main" et se préparer à cette relance des relations transatlantiques. C'est pourquoi, selon le professeur de relations internationales à l’université de Cologne, Joe Biden n'a pas obtenu de réponse adéquate, avec le risque de voir, ces prochains mois, les désaccords se multiplier entre Washington et les capitales européennes sur la Chine et sur la Russie. "A. Merkel et E. Macron se sont contredits sur la ligne à adopter par rapport à Moscou et n'avaient pas grand-chose à dire sur les moyens de répondre aux ambitions chinoises", affirme Thomas Jäger.
Ajouter un commentaire