Plus qu’un improbable polexit, la décision des juges polonais fait redouter une "corrosion" de l’intérieur de l’espace juridique et de tout l’édifice européens. Elle représente une menace plus sérieuse pour la cohésion de l’UE que le Brexit ou l’arrêt du tribunal de Karlsruhe de 2020 auquel elle est souvent comparée.
Une décision qui va à rebours d’une opinion polonaise pro-européenne
Dans une décision "historique" rendue le 7 octobre 2021, la cour constitutionnelle polonaise a mis en cause la primauté du droit européen, souligne le quotidien Gazeta Wyborcza. La plus haute instance juridique du pays a considéré que si la "nouvelle étape" de l'intégration européenne, engagée avec le traité de Maastricht, conduisait à priver la constitution polonaise de sa suprématie, le traité sur l'Union européenne (TUE) serait "inconstitutionnel". Outre l’article 1, la cour suprême polonaise a contesté l’article 19 du TUE, qui requiert des États membres qu'ils "établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l'Union". Selon les douze juges constitutionnels polonais présents à l’audience, tous nommés par le PiS est-il noté, seules les dispositions édictées par des institutions de l'UE "dans le cadre des compétences qui leur ont été déléguées et dans le respect de l'identité constitutionnelle de l'État" doivent être reconnues. "Nous voulons une communauté de respect, pas une association d’égaux et de plus égaux [...]. C’est l’Union que nous voulons et c’est l’Union que nous continuerons à bâtir", a réagi le premier ministre Mateusz Morawiecki à l'origine de la saisine. Ryszard Legutko, président du groupe des députés du PiS au parlement européen, s'est déclaré "très affecté par les réactions de l'élite européenne", fustigeant "une manière d'humilier la Pologne" et ajoutant qu'"aucun pays ne reconnaît à l'UE une compétence générale".
Des dissensions existent cependant au sein du gouvernement polonais, analyse Piotr Buras, directeur du ECFR à Varsovie, entre une aile eurosceptique et un courant hostile à l'UE, qui expliquent, selon lui, cette tentative du gouvernement, en butte à des difficultés pour maintenir la cohésion de sa majorité parlementaire, de donner des gages à la mouvance radicale, étant entendu que les autorités polonaises ont clairement marqué qu'elles n'entendaient pas quitter l'UE. Tandis que des modérés sont plus enclins au compromis, Zbigniew Ziobro, le ministre de la Justice, architecte de la réforme judiciaire contestée devant la CJUE, a néanmoins appelé à "ne pas céder au chantage illégal de la cour de Justice de l'UE", considérant qu'il "y a des limites au compromis". À la mi-septembre, le président du PiS, Jarosław Kaczyński, l’a promis ("il n'y aura pas de polexit"), avant de réaffirmer "nous voulons rester un État souverain", relève die Zeit. Il faut surtout avoir à l'esprit que la société polonaise est très favorable à l'adhésion à l'UE, souligne Piotr Buras. Plusieurs associations polonaises de juges ont dénoncé la décision de la cour constitutionnelle, notamment des magistrats mis à la retraite par l'actuel pouvoir polonais, de même que l'association Iustitia, ce qui laisse prévoir, selon Gazeta Wyborcza, une situation juridique confuse, certains juges restant déterminés à faire appliquer la loi européenne.
Un arrêt qui s’attaque aux fondements de l’ordre juridique européen
La Commission, qui a fait preuve de mansuétude face aux violations de l'État de droit, est désormais sous une forte pression de certains États membres et du Parlement européen pour agir, note le Financial Times. Ursula von der Leyen est confrontée à un dilemme, garantir le respect des traités ou bien accepter des compromis pour éviter une escalade. Au vu du montant des transferts financiers consentis à Varsovie (près de 36 Mds € de prêts/subventions au titre du plan de relance, 121 Mds € de fonds structurels jusqu'en 2027), la Commission n'est pas dépourvue de leviers, observe le quotidien britannique, les contribuables européens peuvent à bon droit s'interroger sur la poursuite de l’aide à un pays qui "ne respecte pas les règles du club". La présidente de la Commission a marqué que "l'UE est une communauté de valeurs et de droit" et rappelé que "tous les arrêts de la Cour de justice européenne sont contraignants pour toutes les autorités des États membres, y compris les juridictions nationales". "Le droit de l'Union prime le droit national, y compris les dispositions constitutionnelles", a affirmé Ursula von der Leyen qui, souligne Politico, a lié son mandat à la mise en œuvre du plan de relance et du green deal, deux objectifs qui nécessitent une bonne coopération avec Varsovie, d'où sa réticence jusqu'à présent à recourir au mécanisme de sauvegarde de l'État de droit. Il est pour le moins paradoxal que Budapest et Varsovie se tournent maintenant vers la Cour de justice de l'UE pour contester la conditionnalité de l'aide financière au titre du plan de relance, s'étonne à ce propos le site d'information européen.
Tout en estimant que "la Pologne va gagner sa guerre contre l’UE et montrer que nous avons eu raison de partir", The Telegraph admet que "la Pologne ne quittera sans doute jamais l'UE", elle est en effet "beaucoup plus dépendante du marché unique que le Royaume-Uni ne l'a jamais été".
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