Claudia Major considère elle aussi qu’il "est peu probable que l'Allemagne soit en mesure d'exercer un leadership". "Le système politique allemand est fondé sur la recherche de compromis et de consensus", explique la chercheuse du think-tank berlinois SWP, les partis doivent mettre au point l’accord de coalition, puis s'accorder au quotidien sur les décisions à prendre. La constellation envisagée - SPD, Verts, FDP - rassemble des partis dont certaines positions sont contestées en Allemagne et à l'étranger - Libéraux attachés à la rigueur budgétaire, Verts réticents à la chose militaire, tout comme un SPD, indulgent envers la Russie. Avis partagé par Hans Kundnani, l'esprit de compromis qui caractérise les institutions allemandes a été accentué par le "style dépolitisé" de Merkel, aussi, "même si la grande coalition n'est plus au pouvoir, le prochain gouvernement lui ressemblera beaucoup", prédit l'expert de Chatham House. Les divergences entre le SPD et le FDP sur la politique budgétaire européenne vont empêcher une réforme fiscale d'ampleur, estime Hans Kundnani. Les Verts sont offensifs vis-à-vis de Pékin, mais la politique chinoise est plutôt du ressort de la chancellerie fédérale, qui devrait échoir au SPD, plus conciliant envers la Chine. La difficulté majeure, d'après cet expert, reste un modèle économique fondé sur l'exportation, qui ne sera sans doute pas réformé de sitôt.Heather Conley identifie trois impératifs - stabilité interne et externe, rigueur fiscale et inflation basse et maintien du modèle exportateur - qui subsisteront "tant que le pays ne sera pas contraint, sans doute sous la pression d'évènements dramatiques et sans consultation, de les modifier".
Les Allemands demeurent enclins à penser que la puissance militaire est "anachronique", un "résidu de l'ordre ancien", qu'ils peuvent ignorer, affirme Bastian Giegerich. Nulle part ailleurs la thèse de Francis Fukuyama sur "la fin de l'histoire" n'a eu autant d'écho, observe Thomas Bagger, l'expérience de 1989, la chute du mur de Berlin, puis la réunification pacifique du pays, ont profondément marqué la manière dont les Allemands appréhendent le monde. Or, rappelle l'ancien chef du Planungsstab de l'Auswärtiges Amt, 1989 c'est aussi la répression de la place Tien An Men et, plutôt qu'à sa fin, c'est au "retour de l'histoire" auquel on assiste. "Je crois que l'Allemagne est toujours en transition, d'une nation divisée vers un pays réunifié, qui convertit sa puissance économique en force politique, analyse aussi Christoph Heusgen. "Nous devons nous défaire de l'habitude de regarder d'abord ce que veulent et pensent les autres. De l'Allemagne on attend un leadership", déclare dans le même temps l'ancien conseiller diplomatique de Merkel dont il défend le bilan, tout en admettant que "l'Allemagne doit faire plus". Les Allemands aiment à se considérer comme les "meilleurs Européens", solidaires, gardiens de la morale, ayant assimilé les leçons de l'histoire et prenant en compte les intérêts des autres, remarque Thomas Bagger, leurs partenaires portant sur eux un regard parfois très différent. À l'exemple du défi climatique, désormais au centre des préoccupations des Allemands, il s'agit, écrit le conseiller du Président Steinmeier, de les convaincre que la politique étrangère et de sécurité ne traite pas de problèmes lointains mais qu'il y va de leur avenir immédiat.
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