Dans ce contexte, la position adoptée par la Pologne revêt une importance particulière, qui s'est montrée critique de l'accord CAI, relève la FAZ. On peut d'ailleurs s'interroger sur sa présence dans ce format "17+1", compte tenu de ses liens étroits avec Washington, estime Marcin Przychodniak, analyste au Polish Institute of International Affairs (PISM) ; Varsovie fait l'objet d'attentions particulières de la part de Pékin, relève le site nationaliste russe Regnum, l'an dernier. Alors que le débat sur le recours à la technologie Huawei pour la 5 G était en cours, l'ambassadeur de Chine avait voulu flatter la Pologne, présentée comme le leader des "17" et souligné que "l'initiative des trois mers" (Baltique, Adriatique, Noire), qu’elle a également largement contribué à mettre sur pied, avait vocation à s'intégrer dans les projets des "nouvelles routes de la soie". Ces propos ont suscité une réaction de l’ancien secrétaire d'État américain Pompeo, qui y a vu au contraire une menace pour l'initiative centre-européenne, visant à améliorer la connectivité nord-sud.
La hâte avec laquelle le sommet "17+1" a été convoqué tient aussi à la volonté de Pékin de préempter les tentatives de la nouvelle administration américaine de nouer une alliance avec les Européens dirigée contre la Chine, souligne la FAZ. C'est la même motivation qui a accéléré la conclusion des négociations sur le CAI. Vu de Washington, expliquent les experts, le format "17+1" est un instrument d'influence chinoise sur le continent européen. La priorité de l'administration Biden à l'égard de l'Europe centrale est apparue clairement quand le secrétaire d'État Blinken a apporté son soutien au sommet des pays du groupe de Visegrád, réuni également le 9 février. La diplomatie de Pékin tend aussi à oublier un autre élément, à savoir le "facteur russe", pourtant essentiel, observe Andreea Brînză, qui fait qu'en cas de menace à leur sécurité, tous ces pays, et tout particulièrement les États baltes, se rangeront derrière les États-Unis. L'importance de cette garantie offerte par Washington explique pourquoi la plupart de ces États, Serbie comprise, ont accepté ("Clean Network initiative") de signer des mémorandums restreignant le recours à Huawei pour déployer la technologie 5G. Le raidissement du régime chinois est un autre élément de nature à créer des tensions avec les capitales d'Europe centrale et balte, remarque Emilian Kavalski, expert des questions eurasiatiques. Ces anciens pays "socialistes" sont sensibles à la répression dont Hong-Kong a été le théâtre, des groupes de solidarité avec le Tibet ont été créés dans les parlements baltes, la Lituanie et la République tchèque sont favorables à l'établissement de liens avec Taïwan (OMS).
Quelle stratégie doivent adopter les Occidentaux ?
La Hongrie se présente comme l'État-membre de l'UE le plus favorable à Pékin, mais, globalement, les pays d'Europe centrale et orientale ont tous une expérience directe et négative du totalitarisme et sont enclins à coopérer avec Washington, souligne également Andreea Brînză. Dans une analyse publiée par l'Heritage foundation, Daniel Kochis invite les États-Unis à utiliser "l'initiative des trois mers" ("3 SI") pour contrebalancer les influences chinoise et russe en Europe centrale et orientale, comme avait commencé à le faire l'administration Trump, qui avait promis un financement d'un milliard de dollars. À l'inverse, le chercheur rattaché à l’université du Kent Lukasz Janulewicz met en garde l'administration Biden contre une stratégie visant à instrumentaliser "l'initiative des trois mers" pour contrer l'influence que peut se procurer la Chine au travers d'un format "17+1" en perte de vitesse. Le chercheur de l'université du Kent invite à ne pas surévaluer l'importance de ces enceintes de coopération régionale. Il rappelle que les pays participant au groupe "3 SI" ont des vues différentes sur les questions d'approvisionnement énergétique et sur le rôle de la Russie en la matière. De même, la Hongrie s'est également distinguée en prenant ses distances par rapport à la "Clean Network initiative" en signant un accord avec Huawei sur la 5G. En matière d'investissements, le rôle de l'UE demeure essentiel dans cette région et les financements extérieurs jouent un rôle d'appoint, souligne cet expert. La plus-value apportée par les formats de coopération régionale est toute relative et le dialogue bilatéral avec les différentes capitales demeure fondamental.
Berlin ne manifeste pas d'intérêt ou d'intention de prendre des responsabilités plus importantes en matière de sécurité et dans les relations avec la Russie et la Chine, alors que sa présence économique dans cette région est prépondérante, déplore pour sa part Ivana Karaskova, chercheuse au sein du think tank tcheque Association for International Affairs. Avec une forte implication polonaise et un soutien américain, l'initiative "3 SI" est entrée dans une "phase de consolidation et d'opérationnalisation", l'engagement des États-Unis pouvant lui conférer une dimension géostratégique, estime pour sa part Kai-Olaf Lang du think-tank berlinois SWP. Il sera politiquement difficile pour Berlin de rejoindre ce forum de coopération, qui ferait croire au retour d'une Mitteleuropa sous influence de l'Allemagne (dont le poids économique est presque équivalent à celui des 12 participants). Quant à l'inclusion des États d'Europe centrale dans le format "3 SI", elle ferait renaître l'idée polonaise d'Intermarium de l'entre-deux-guerres et susciterait des réticences de la part des autres participants, tandis que le chercheur de la SWP juge peu probable une orientation exclusive de cette initiative vers Washington, sur le modèle du "17+1", l'administration Biden ne voulant pas diviser l'UE. Kai-Olaf Lang conseille à l'Allemagne d'adopter une attitude bienveillante à l'égard du "3 SI" et de marquer sa disponibilité à participer, par l'intermédiaire de la banque publique d’investissement KfW, à certains projets améliorant la connectivité, par exemple en matière d'énergie et de numérique.
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