La désaffection envers le parti "Russie unie" a conduit le Kremlin à recourir à une fraude massive, facilitée par les nouvelles technologies, afin d’obtenir la majorité constitutionnelle et avoir les mains libres pour l’élection présidentielle de 2024. Ce scrutin marque un seuil dans la dérive autoritaire du régime, à rebours des aspirations d’une partie importante de l’opinion.
Le régime ne cherche plus à préserver les apparences démocratiques
"La façade de la fausse démocratie de Vladimir Poutine s'est écroulée", titre le Financial Times à propos des élections législatives, organisées du 17 au 19 septembre, le quotidien dénonçant le recours à "une répression crue" qui ne s'embarrasse plus de "subtilités" pour maintenir la "stabilité" du régime. La BBC rapporte à ce sujet que, des mois durant, l'ex-Président et premier ministre Dmitri Medvedev, président du parti "Russie unie", a fait le siège de Sergueï Kirienko, responsable de la politique intérieure à l'administration présidentielle (AP), pour être nommé à la présidence de la prochaine Douma. Mais accepter que Dimitri Medvedev, Mikhaïl Michoustine, premier ministre, ou Sergueï Sobyanine, maire de Moscou, prennent la tête de la liste de "Russie unie", explique la BBC, aurait relancé les spéculations sur la "transition" auxquelles Vladimir Poutine a voulu mettre un terme avec la "remise à zéro" de ses mandats. Le renouvellement de la Douma s'est opéré non par l’élection, mais avec une parodie de vote et un résultat déterminé à l'avance - une majorité des 2/3 pour "Russie unie" - dénonce la FAZ. En 2016, cette démocratie de façade était encore acceptée par les Occidentaux, aujourd'hui, il y a consensus pour y voir une "imitation" de scrutin démocratique, note Grigori Golossov, professeur à l'université européenne de St Pétersbourg. Depuis 2012, le régime n'a cessé de durcir la législation (loi sur les "agents de l'étranger", interdiction pour plus de 9 millions de personnes de se porter candidat aux élections, etc...) et d'accentuer la répression de l'opposition libérale (condamnations pénales, mise au pas des media indépendants...). Face à la contestation qui a accompagné en janvier le retour en Russie d'Alexei Navalny, aussitôt emprisonné, Vladimir Poutine n'a rien voulu laisser au hasard, remarque Ilya Yablokov.
En dépit de l'efficacité du système de "mobilisation administrative", que décrit Roman Oudot, responsable de Golos, ONG spécialisée dans l'observation électorale, il a fallu "corriger les résultats", relève Gregori Golossov. Les sondages lui accordaient environ 30 % des voix, mais l'AP avait fixé à "Russie unie" un objectif de 45 %. Les méthodes habituelles (propagande, exclusion de l’opposition, pressions sur les agents publics, bourrages d'urnes, "sultanats électoraux", etc...) ont été utilisées intensément, se sont ajoutées d’autres manipulations, qui ont abouti à attribuer à "Russie unie" un résultat, peu crédible, qui frôle les 50 % du vote. D’ores et déjà, plus de 5.000 cas de fraude ont été signalés à "Golos", que l'étalement sur trois jours du scrutin a facilité. Les résultats du vote à Moscou ont en particulier suscité beaucoup d’interrogations. À l'issue du dépouillement des urnes, les candidats indépendants étaient en tête dans 8 des 15 circonscriptions, mais l'ajout des résultats du vote électronique, intervenu avec un retard important, a renversé la situation et donné la victoire à la "liste Sobyanine". Selon Sergueï Chpilkine qui, depuis de longues années, analyse les anomalies électorales en Russie, la participation réelle au scrutin au plan national s'élève à 38 % (52 % officiellement) et le résultat de "Russie unie" à 31-33 %. En refusant de communiquer aux chercheurs indépendants les données détaillées du vote et en cherchant à rendre impossible l'exploitation des chiffres publiés sur son site internet (transformés en lettres quand on essaie de les copier), la commission électorale a rendu ce travail plus difficile, accuse ce mathématicien, critique du recours au vote électronique, "véritable boite noire".
Les nouvelles technologies sont assujetties aux objectifs du Kremlin
Il y a une décennie, les manifestants russes avaient découvert les ressources d'internet et des réseaux sociaux, rappelle Alena Epifanova, dix ans plus tard cette page se tourne, ces technologies sont massivement utilisées par le pouvoir pour empêcher les gens de s'informer et de s'organiser et pour contrôler la société. Ces dernières années, observe cette experte de la DGAP, des dispositifs législatifs et techniques, connus sous l'acronyme TSPU, ont été progressivement mis en place afin de restreindre les espaces de liberté. Roskomnadzor, l'agence en charge de ce contrôle, s'est employée à trouver le moyen "d’éliminer les sites internet et les informations indésirables sans pour autant paralyser tout le réseau", écrit-elle. Dans un premier temps, ses tentatives ont été infructueuses (cf. l'échec du blocage de la messagerie Telegram) mais, depuis 2019 et l’adoption de la loi sur "l'internet souverain", Roskomnadzor dispose des moyens juridiques et technologiques (Deep Packet Inspection - DPI) pour contrôler les flux d'information. Le dispositif a été testé en mars 2021 quand Twitter a été ralenti avec des effets collatéraux limités (certains sites officiels inaccessibles).
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