Il est tentant, note cet expert, de comparer les problèmes potentiels que crée pour l’Iran l'arrivée au pouvoir des Talibans à Kaboul et les difficultés de Riyad face à la rébellion des Houthis au Yémen. L'administration Trump et les Saoudiens avaient nourri le projet de fomenter des troubles en Iran, mais, souligne James M. Dorsey, "l'Afghanistan n'est pas le Yémen et les Talibans ne sont pas les Houthis". L’évolution en Afghanistan pourrait faciliter l'amélioration des relations saoudo-iraniennes, avance Seyed Hossein Mousavian. L'ancien négociateur iranien évoque les discussions de Bagdad en vue de la normalisation de leurs relations et considère que la victoire des Talibans profite plutôt à Riyad et pourrait inciter les deux capitales à se rapprocher. Elles ont un "intérêt renouvelé à coopérer", écrit aussi Zvi Bar'el, car l'Arabie saoudite craint que les organisations islamistes sur son territoire ne soient renforcées tandis que l'Iran redoute l'importation du terrorisme sunnite. "Un vent de réconciliation souffle sur la région, constate leTehran Times. Va-t-il inclure un dégel des relations Iran-Arabie saoudite ? Trop tôt pour le dire", estime toutefois le journal proche du régime iranien.
Quelles sont les conséquences d’un désengagement américain ?
"De Taïwan aux États arabes du golfe persique, les alliés des États-Unis commencent à douter de leur fiabilité [...]. Certains pensent que la ‘fuite humiliante’ d'Afghanistan servira d'avertissement à ceux qui espèrent toujours que Washington les protégera", écrit par ailleurs le Tehran Times. Ce retrait ajoute un élément d'incertitude à la politique américaine au Moyen-Orient, convient Farzim Nadimi. Selon le chercheur du WINEP, l'Iran va l'exploiter et inciter ses nombreux supplétifs dans la région à se montrer plus actifs dans les mois à venir. Téhéran sera tenté de mettre les États-Unis sous pression avec encore plus de détermination, au Yémen mais aussi en Syrie et en Irak. Ces derniers jours, dans une démarche inhabituelle, Téhéran a demandé au gouvernement régional d'Erbil le départ du "parti démocratique du Kurdistan d'Iran". Idris Okuducu s’en inquiète : "l'opposition kurde iranienne pourrait subir les conséquences du retrait américain d'Irak", prévu à la fin de l'année. Ancien chef du Mossad, Yossi Cohen redoute les conséquences d'un retrait militaire américain "mal conçu et précipité", de nature à accentuer les antagonismes entre communautés irakiennes et susceptible de conduire l'Iran à renforcer sa présence militaire. Une autre leçon peut être tirée de l'expérience afghane, selon Fatemeh Aman : "un gouvernement dont l'existence dépend de la présence de forces étrangères peut facilement disparaître quand ces forces se retirent, ce que les Russes en Syrie et les Iraniens en Syrie et en Irak devraient méditer".
Si Moscou voit traditionnellement dans les revers de la politique étrangère américaine un gain net pour la Russie, remarque Pavel Baev, le retrait d'Afghanistan crée néanmoins pour la Russie un important défi. Le Kremlin peut s'attendre à ce qu’il soit suivi de décisions identiques en Syrie et en Irak, mais il y a aussi des raisons de penser que la Maison blanche cherchera à afficher sa détermination pour compenser cette "évacuation humiliante" en maintenant une présence militaire moins coûteuse au Moyen-Orient, écrit cet expert de la politique russe. En Syrie, le statu quo convient à la plupart des acteurs extérieurs mais pourrait toutefois être mis en cause par la situation économique désastreuse, comme le montre l'exemple libanais. La Russie n'entend pas se substituer à l'Iran, contraint de réduire, du fait de ses difficultés économiques internes, le financement des factions libanaises ; elle suit avec attention la détente entre Téhéran et Riyad et incline à penser que l'administration Biden, sous pression après le retrait d'Afghanistan, hésitera à signer avec l'Iran un accord sur son programme nucléaire (JCPoA). De fait, selon Amos Harel, "l'humiliation" subie par Joe Biden pourrait le "contraindre à adopter une attitude un peu plus ferme envers les Iraniens". Sans rejeter cette hypothèse, Manal Lotfy mentionne l'intérêt des Occidentaux à ce que Téhéran joue le médiateur avec les Talibans pour prévenir une nouvelle crise migratoire.
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