L’Allemagne doit améliorer la coordination interministérielle, réfléchir à sa conception des engagements extérieurs, accroître les moyens de la Bundeswehr et tirer au Mali les conséquences de son expérience afghane. Avec ses partenaires européens, Berlin doit aussi être en mesure d’agir de manière autonome sans toutefois mettre en cause le lien transatlantique.
Retrait américain et manque d'anticipation des autorités allemandes
La précipitation avec laquelle Washington a mis fin à la mission Resolute Support - dont Berlin demeurait, jusqu'à son retrait en juin dernier, le deuxième contributeur - a fait polémique outre-Rhin. Parmi les raisons de ce "désastre", Christoph Heusgen mentionne la stratégie "terriblement risquée" des États-Unis, qui ont tenu les autorités afghanes à l'écart de leurs pourparlers avec les Talibans, contribuant à les délégitimer. L'ancien conseiller diplomatique d’Angela Merkel reproche en outre à Washington un "manque de respect à l'égard des alliés qui lui avaient apporté leur soutien" après le 11 septembre 2001.
"La fin amère de cette opération" place aussi sous un "jour dévastateur la politique étrangère allemande", estime Henning Hoff ; Berlin était une cheville ouvrière de la stratégie adoptée en Afghanistan, rappelle-t-il ; c'est à son initiative qu'en décembre 2001 avait été organisée, près de Bonn, la première conférence internationale sur l'Afghanistan, rééditée dix ans plus tard ("Bonn 2"). Les autorités allemandes, notamment le BND (renseignements extérieurs), se voient reprocher une absence d’anticipation des événements. Wolfgang Ischinger déplore en outre la cacophonie qui a entouré les opérations d’évacuation - les ministères se rejetant la responsabilité des difficultés rencontrées - ce qui justifie, d’après lui, la création d'un conseil national de sécurité, chargé de coordonner ce type d'opérations.
Le traitement réservé aux Afghans travaillant pour l'Allemagne a suscité de vives critiques à l'encontre du gouvernement fédéral, accusé de ne pas avoir organisé plus tôt leur départ, d'avoir fixé des critères restrictifs pour l'octroi de visas (2 400 délivrés au moment du retrait de la Bundeswehr) et de fuir ses responsabilités, rapporte le Washington Post. Fin août, selon la Süddeutsche Zeitung, outre 300 Allemands, plus de 10 000 noms d'auxiliaires afghans, soit, avec les familles, plus de 40 000 personnes, figuraient sur les listes de l'Auswärtiges Amt en vue de leur évacuation. Au centre des critiques, Heiko Maas s'est engagé à agir "jusqu'à ce que tous ceux dont nous sommes responsables en Afghanistan soient en sécurité". Pour tenir cette promesse, le ministre des Affaires étrangères vient d'effectuer une tournée qui l'a conduit en Turquie, en Asie centrale et au Pakistan, promettant une assistance humanitaire de 100 millions d’euros à l'Afghanistan et de 500 millions d’euros aux États voisins afin de faciliter le départ vers l'Allemagne des personnes qui bénéficient de sa protection et d’éviter des flux de réfugiés déstabilisateurs pour la région.
Réexamen nécessaire des engagements extérieurs de l'Allemagne pour éviter un "second Afghanistan" au Mali
Le moment est venu de jeter un regard critique sur les raisons avancées par le gouvernement fédéral pour justifier son engagement en Afghanistan, estime Wolfgang Ischinger. Cette crise était un cas d'école, gérée avec une approche complexe qui n'était pas seulement militaire, observe Christoph Heusgen : des milliards d'euros ont ainsi été alloués à l'aide humanitaire et au développement, à la mise sur pied de l'administration afghane et au développement économique. L'Occident doit continuer à promouvoir ses valeurs, mais nos "nobles objectifs" sont-ils compatibles avec nos moyens, demande Wolfgang Ischinger ? Également interrogée par le DLF, la chercheuse Almut Wieland-Karimi dresse un bilan nuancé de cet engagement de deux décennies, qui a notamment permis la scolarisation de millions d'enfants et l'amélioration du système de santé. Directeur de l'institut de politique de sécurité de l'université de Kiel, Joachim Krause y voit l'échec, selon lui prévisible, du "nation-building".
Pour Ekkehard Brose, le concept d’"Ertüchtigung" - formation et équipement des forces locales - imaginé à Berlin pour limiter l’envoi, impopulaire, de soldats allemands, se voit contesté. Une autre idée maîtresse allemande - "l'approche en réseau" ("vernetzter Ansatz"), c’est-à-dire le traitement des crises par une combinaison de moyens diplomatiques, économiques, policiers et militaires, est en question. Cette gestion complexe, explique le président de l'académie fédérale pour la politique de sécurité (BAKS), nécessite une coordination étroite, à l'échelon national et international, et une compréhension commune des objectifs et des moyens, qui a souvent fait défaut en Afghanistan. La formation de la police afghane, assurée par l'Allemagne puis par l'Union européenne, illustre ces difficultés dues à l'hétérogénéité des cultures et des méthodes des pays formateurs, relève Judy Dempsey.
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