Ce texte, "de la main du Président russe, donne carte blanche pour combattre par tout moyen 'l'anti-Russie', incarnée par l'actuelle classe politique ukrainienne et par l'Occident", estime Konstantin Eggert."Si demain, V. Poutine annonce la fin du transit du gaz par l'Ukraine, la reconnaissance des républiques sécessionnistes du Donbass, voire une offensive sur Marioupol, il ne faudra pas s'étonner", avertit le chroniqueur de la Deutsche Welle.
Une nouvelle doctrine russe de souveraineté limitée
Le texte du Président russe ne contient rien de bien nouveau par rapport aux conceptions qu'il a défendues jusqu'à présent, mais il leur donne une forme cohérente, estime Leonid Bershidsky. Complété par un entretien télévisé entièrement consacré à l'Ukraine, cet article, remarque Vladimir Frolov, "offre un tableau complet qui précise l'orientation de la politique étrangère à l'égard de l'Ukraine, mais aussi de la Biélorussie, du Kazakhstan, et probablement, de la Géorgie et de la Moldavie". Leonid Bershidsky rapproche la dénonciation du "projet anti-russe" attribué par Vladimir Poutine aux Occidentaux du discours prononcé par Hitler à Vienne le 15 mars 1938, dans lequel celui-ci fustigeait les traités de paix, obstacle à la formation d'un grand Reich, afin de justifier l'Anschluß. Vladimir Poutine aurait pourtant pu s'inspirer autrement du modèle autrichien, remarque Martin Schulze Wessel. À rebours de toute son argumentation, il admet à un moment que "les choses changent, les pays et les communautés ne font pas exception", sans tirer aucune conséquence de ce constat, dont l'Autriche offre une bonne illustration, qui a su développer après-guerre son identité propre. Le défi posé par la Russie a plus que tout contribué à affirmer l'indépendance ukrainienne, relève l'historien allemand.
Vladimir Poutine "fixe clairement les conditions qui font que la Russie continuera à reconnaître les accords de Belovej [qui entérinent la dissolution de l'URSS, signés en décembre 1991 par les présidents russe, ukrainien et biélorusse - ndr] et à respecter les choix de ses voisins", explique Vladimir Frolov, qui cite le Président russe ("nous n'admettrons jamais que nos territoires historiques et que les populations proches de nous qui y vivent soient utilisés contre la Russie. Ceux qui font une tentative en ce sens, je veux le dire, détruiront leur pays"). Dès lors, les États post-soviétiques ont le choix entre une intégration aux structures créées par Moscou (CEI, UEE, OTSC, etc...) et une nouvelle forme de "finlandisation", référence au modèle défini en 1947 par le traité de Paris (reconnaissance par l'URSS de l'indépendance et de l'intégrité territoriale de la Finlande en contrepartie de sa neutralité et de restrictions à sa souveraineté). Appliqué au cas ukrainien, Kiev devrait reconnaître l'annexion de la Crimée, mettre en œuvre les accords de Minsk, accorder une autonomie politique et culturelle au Donbass, limiter son potentiel militaire et accepter un statut de neutralité.
"La question-clé", pour cet expert, est de savoir si le Kremlin acceptera ce que le régime soviétique avait admis en Finlande - la non-ingérence dans les affaires intérieures ukrainiennes. Vladimir Frolov en doute, tout comme Timothée Bordatchov, expert proche du pouvoir. "La Russie peut-elle attendre de l'Ukraine qu'elle devienne un voisin normal, qui se développe conformément à ses priorités, mais en prenant en compte sa situation géopolitique ? C'est à ce modèle de finlandisation de l'Ukraine que pense la majorité des analystes sérieux", écrit le chercheur du club Valdaï, néanmoins sceptique, car "malgré l'affaiblissement global de la position des États-Unis et de leurs alliés, ceux-ci conserveront la capacité de contrôler ce territoire". "Le maximum de ce qu'on puisse espérer, d'après Timothée Bordatchov, c'est une réduction graduelle de l'emprise extérieure sur l'Ukraine", qui "conduira progressivement à ce que les élites ukrainiennes se montrent plus sensibles aux arguments venant de Russie".
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