C'est aussi l'analyse de Hans-Dieter Heumann, la Russie ne veut plus faire partie de "l'ordre de paix pan-européen", défini à la fin de la guerre froide, elle se conçoit comme une "grande puissance eurasiatique, dans un cadre multipolaire et non multilatéral". L'UE ne peut espérer nouer un partenariat de modernisation avec la Russie, estime l'ancien diplomate allemand, car le système Poutine, corrompu et autoritaire, est réfractaire à la réforme, le seul concept du passé encore utilisable est issu du rapport Harmel ("dissuasion et dialogue") de 1967. Michael Thumann met en garde contre la "farce" que serait un Yalta II. Au demeurant, même dans les champs possibles de coopération, cités par Merkel et Macron (climat, santé, Syrie, Iran, Chine), Moscou ne manifeste aucune volonté de coopérer, le ministre iranien des Affaires étrangères s'est plaint du comportement de Moscou dans les négociations sur le programme nucléaire (JCPoA).
L’article de Poutine et, plus encore, celui de Lavrov, révèlent le véritable dessein de Moscou
Dans la revue Russia in Global Affairs le ministre russe des Affaires étrangères s'en prend à la "minorité russophobe et agressive" qui a "enterré" l'initiative franco-allemande de sommet UE/Russie, cela "bien que les États-Unis lui aient donné le feu vert à Genève". Mais, tandis que Poutine évoque le "rêve de Charles de Gaulle" d'un continent "uni, moins sur le plan géographique que culturel et civilisationnel", et dont la "cohésion est assurée par des valeurs et intérêts communs", Lavrov souligne au contraire que "la Russie, la Chine et d'autres puissances ont leur propre histoire millénaire, leurs traditions, leurs valeurs, leurs modes de vie", il critique entre autre "l'alliance pour le multilatéralisme", proposée par la France et l'Allemagne, qu'il accuse de vouloir "imposer à tous comme modèle les idéaux et l'action de l'UE".
Le Président russe et son ministre se rejoignent cependant sur l’objectif. Poutine appelle à "mettre en place un espace commun de coopération et de sécurité de l’Atlantique au Pacifique, comprenant divers formats d’intégration, dont l’UE et l’Union économique eurasiatique" et son ministre des Affaires étrangères souligne "le potentiel de consolidation contenu dans l’initiative russe de grand partenariat eurasiatique visant à faire converger les efforts de tous les pays et organisations du continent" [le projet de "grande Eurasie", qui place la Russie au centre de cet ensemble, est promu par le Kremlin depuis les années 2010 - ndr]. Lavrov se déclare aussi en faveur d’une "réforme du Conseil de sécurité de l’ONU, renforcé avec des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, qui mette fin à l’anomalie que constitue la surreprésentation de l’Occident dans le principal organe des Nations unies".
La Russie a connu dans son histoire des accès d'anti-occidentalisme, rappelle Sergueï Cheline, sous Catherine II et Pierre I, par crainte de la révolution française et de la nouveauté qu'elle apportait, ainsi que dans les dernières années de la période stalinienne. Mais, la campagne actuelle, qui a débuté en 2014, et même avant, bat tous les records de durée, s'inquiète l'éditorialiste de Rosbalt. "Les dirigeants russes ont fait des relations avec la communauté internationale un instrument de mobilisation pour se maintenir au pouvoir, accuse Konstantin Eggert. Les sanctions, l'isolement, la méfiance généralisée, la stagnation économique, les technologies dépassées, la fuite des cerveaux, la transformation du pays en vassal de la dictature chinoise - il n'y a pas de prix que le régime actuel ne soit prêt à payer pour rester au pouvoir".
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