Chaque semaine, l’Institut Montaigne propose sa revue de presse internationale avec son chroniqueur Bernard Chappedelaine, ancien conseiller des Affaires étrangères au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, qui scrute le traitement par les experts et les médias internationaux de l’actualité géopolitique mondiale. Cette semaine, il se penche sur le regard que porte l’Allemagne sur la nouvelle politique étrangère britannique qualifiée de "Global Britain".
L’Allemagne et le Royaume-Uni, dont les échanges se rétractent depuis l’annonce du Brexit, ont un attachement commun au libre-échange et des visions convergentes de la situation internationale, même si la "culture de la retenue" et l’hostilité au nucléaire sont toujours de mise à Berlin. Le "Global Britain" laisse sceptiques les experts allemands, qui réfléchissent à la manière d’impliquer Londres dans la coopération européenne en matière de politique étrangère et de défense.
Hôte du récent sommet du G7 en Cornouailles, Boris Johnson entend "placer son pays sous les projecteurs", observe la Süddeutsche Zeitung, néanmoins, "depuis le Brexit, un décalage croissant sépare l'ambition de la réalité". "Le Premier ministre britannique veut montrer que le Royaume-Uni reste important après le Brexit, mais, avec son 'Britain first', il brouille son propre message", estime le Handelsblatt qui, comme d'autres media allemands, se montre critique et qualifie "d'erreur stratégique" sa décision de limiter à 0,5 % du PIB l'aide publique au développement (APD) accordée par Londres, alors même, rappelle-t-il, que c'est sous l'impulsion de Tony Blair que le G8 s'était engagé, il y a seize ans au sommet de Gleneagles, à consacrer à l’APD un montant équivalent à 0,7 % du PIB. En signant avec Joe Biden une nouvelle "charte de l’Atlantique", Boris Johnson a voulu s’inscrire dans un passé glorieux, mais, relève le Financial Times, Angela Merkel est la "première dirigeante européenne à être invitée à la Maison-Blanche, avant Emmanuel Macron et Boris Johnson".
Baisse des échanges commerciaux, perceptions différentes de la situation géopolitique
À la demande de Berlin notamment, le communiqué des ministres du Commerce du G7 publié le 28 mars 2021, qui rappelle l'importance du multilatéralisme et du respect des règles, ne mentionne pas la Chine, l'Allemagne et le Royaume-Uni demeurent néanmoins deux "champions du commerce mondial" et la prochaine présidence allemande du G7 pourra prolonger les initiatives britanniques, souligne Chatham House. Sur le plan bilatéral, leurs échanges connaissent toutefois une érosion. Au premier trimestre de cette année, Pékin est devenu le premier fournisseur du Royaume-Uni, les importations en provenance de Chine se sont élevées à 16,9 Mds £, soit une augmentation des 2/3 en trois ans, selon les statistiques britanniques. À l'inverse, les exportations allemandes, notamment de voitures, ont reculé d'un quart par rapport à 2018, cette évolution s'inscrit dans une tendance à la baisse observée depuis 2016, année du Brexit, les exportations venant d'Allemagne qui atteignaient 89 Mds € en 2015 ne représentent plus que 67 Mds € en 2020. Depuis le début de l'année, les mouvements de personnes entre le Royaume-Uni et l'UE sont aussi devenus plus difficiles, l’Ambassadeur d'Allemagne à Londres a récemment fait part de sa préoccupation sur les conséquences de la suppression de la libre circulation (multiplication des cas de refoulement de citoyens européens, y compris allemands, à l'entrée du territoire britannique, etc...), ce qui "crée une nouvelle réalité et une atmosphère dans laquelle il est plus difficile de rester en contact".
73 % des Britanniques et 72 % des Allemands sont convaincus des bienfaits du commerce international, selon l’enquête Transatlantic Trends réalisée dans une dizaine de pays, que vient de publier le German Marshall Fund (GMF), mais l’opinion des deux pays diverge sur leurs capacités technologiques, 71 % des Britanniques se jugent bien placés dans cette compétition, alors que 50 % des Allemands estiment que leur pays prend du retard. Selon un autre sondage, effectué pour le compte de l'ECFR dans une douzaine de pays membres de l’UE, les Allemands sont ceux qui ont l'image la plus négative du Royaume-Uni, 14 % seulement le considèrent comme un "allié" et 34 % comme un "partenaire", 20 % y voient un "rival" et 6 % un "adversaire". Selon l'enquête du GMF, la Chine est aujourd’hui l’acteur dominant pour 22 % des Allemands et 15 % des Britanniques. Le Royaume-Uni est pour 48 % des Américains la première puissance européenne, l'Allemagne étant nettement distancée (23 %). Sur le continent européen, 71 % des Allemands et 47 % des Britanniques voient dans l'Allemagne la principale puissance, 36 % des Britanniques plaçant en tête leur pays. Les Allemands (67 %) sont les plus critiques de l'influence chinoise, attitude partagée par 57 % des Britanniques.
La place de l’Allemagne dans le "Global Britain"
La "revue intégrée de sécurité, de défense, de développement et de politique étrangère", publiée en mars 2021 par le gouvernement britannique, donne corps à l'idée de "Global Britain". Cette revue n'accorde qu'une place modeste à l'UE, elle mentionne à sept reprises l'Allemagne, qualifiée "d'alliée essentielle, avec laquelle nous entretenons des liens économiques profonds et un partenariat croissant en politique étrangère, en tant que membres de l'E3 et sur un plan bilatéral". "Nous allons continuer à travailler ensemble pour défendre notre voisinage et nos valeurs, y compris par la déclaration conjointe de politique étrangère que nous espérons signer en 2021, peut-on lire. Nous nous attacherons à renforcer cette relation dans les années à venir, notamment en coopérant sur des questions importantes comme le changement climatique". En matière de défense, "nous allons examiner les moyens de travailler plus étroitement avec les partenaires européens, y compris la France et l'Allemagne", indique le document publié à Londres, qui annonce que "des équipements britanniques seront prépositionnés en Allemagne pour faciliter une réponse rapide". "Nous allons renforcer nos relations bilatérales, particulièrement mais pas uniquement avec nos alliés-clé, États-Unis, France et Allemagne", affirme encore la "revue intégrée".
Ces engagements à l'égard des partenaires européens de l'UE laissent cependant dubitatifs certains experts britanniques et allemands.
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