Il faut espérer qu’il sera d’abord en mesure de former un gouvernement qui, à la fois, obtienne la confiance du Parlement et soit de nature à répondre à la feuille de route dans les délais impartis par la France, soit 15 jours pour former un gouvernement, et 4 semaines pour engager des réformes avant la conférence des donateurs prévue en octobre à Paris. Si un risque de vacance du pouvoir n’est jamais à écarter au Liban (cf la situation en 2016), il faudra en tout état de cause être attentif aux personnalités qui seront choisies pour former ce gouvernement que la France espère "de mission", "indépendant", avec des "personnalités compétentes [...] qui aura le soutien de toutes les fonctions politiques".
Il devra s’attacher à reprendre les négociations avec le FMI, ce qui implique de mettre les dirigeants d’accord sur les montants à présenter au Fonds. Il est en effet vital de faire repartir l'économie (la Banque Mondiale chiffre à près de 8 milliards de dollars le coût de l’explosion) et de commencer la reconstruction de Beyrouth.
En revanche, on voit mal comment il pourra s’emparer des dossiers cruciaux que sont l'enquête sur les responsabilités dans l’explosion du port, et une réforme en profondeur du "système" libanais. Le chantier des réformes économiques et financières, tout comme celui de la refonte du pacte politique, sont titanesques. Mener à bien ces réformes équivaut pour la classe mafieuse en place à "tuer la vache à lait". Il faut un homme qui a la légitimité et l'épaisseur politique suffisante pour le faire, il est à craindre que Mustapha Adib ne l’ait pas.
Le Président Aoun a reconnu la nécessité de modifier en profondeur le système politique du pays, notamment par la proclamation d'un "État laïc", l'une des principales revendications portées par le mouvement de contestation. Quels sont les enjeux de cette annonce ?
Dans son allocution du 30 août, le Président Aoun, qui a été rejoint par les leaders chrétiens Suleiman Frangieh et Gebran Bassil, mentionne ce qui a été traduit en français par un "État laïc", en arabe "daoula madaniya", que reflète mieux l’expression "État civil", en opposition au système confessionnel qui est aujourd’hui décrit. Il serait, selon ses mots, "seul capable de protéger le pluralisme, de le préserver en le transformant en unité réelle". À ces propos font écho ceux du Président du Parlement Nabih Berri qui s’est également prononcé en faveur d’un changement du système politique et d’un État laïc. Ils sont également à rapprocher des appels du Patriarche Bechara Raï (qu’Emmanuel Macron a rencontré) à consacrer la "neutralité active" du Liban, reprenant la notion déjà connue de distanciation des enjeux et parrains régionaux.
La nécessité de modifier en profondeur le système politique du pays n’est pas nouvelle, puisque c’est ce que scandaient les manifestants depuis le mois d’octobre 2019 (résumé dans le slogan "kelloun ya3ni kelloun", "tous ça veut dire tous").
Il est surtout important de souligner que la Constitution de 1926 consacre déjà les bases d’un État laïc à la libanaise, en reconnaissant la liberté d’opinion et de conscience (préambule, article 9), en garantissant à tout Libanais l'accès aux emplois publics (article 12), et via son article 22 qui dispose que l'élection de la chambre des députés se fait sur une base non confessionnelle. La confessionnalisation de la vie politique est le fruit d’une pratique qui a été consacrée par le Pacte National de 1943 puis entérinée par les accords de Taëf de 1989. Il faut donc revenir sur une interprétation à la lettre de la Constitution et procéder à des ajustements, notamment sur le statut personnel qui reste à la main des institutions religieuses. C’est également un changement de mentalités qui doit être opéré : cela ne se décrète pas mais se construit sur la durée.
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