En 2020, comme une image de tout le système international, l’OMS a démontré aussi bien son caractère central et indispensable dans la gestion d’une crise sanitaire globale - pour laquelle elle seule dispose d’un mandat international précis et d'une expertise consolidée - que sa vulnérabilité politique et la faiblesse de ces moyens. Elle dépend en effet entièrement de ses 194 États membres et de ses financeurs, elle n’a aucun pouvoir de sanction ou de coercition mais seulement de recommandation, et ses moyens sont indigents compte tenu de l’importance de son mandat : 5 milliards de dollars de budget, c’est la moitié de ce dont dispose le seul centre américain de prévention des pandémies (CDC) et 80 % de ces ressources sont fléchées par ses financeurs, dont de grandes fondations privées, ce qui limite beaucoup son indépendance.
Sur le plan politique, c’est d’ailleurs autour de cette notion de dépendance qu’elle a été vigoureusement attaquée par le président américain Donald Trump, annonçant au printemps le retrait de son pays de l’organisation - et par conséquent la suspension unilatérale du financement américain, accusée d’être, en la personne de son directeur général Tedros Ghebreyesus, élu en 2017 à sa tête avec le soutien de la Chine, l’instrument excessivement docile et accommodant de cette dernière. Ce coup d’éclat, excessif et brutal, est une illustration fidèle de la politique de minage systématique du système multilatéral par le président sortant américain tout au long de son mandat. En 2020, l’Organisation mondiale du commerce aura été l’une des dernières à en faire les frais avec le blocage, par les États-Unis, de l’élection de son nouveau directeur général, après avoir affaibli puis paralysé complètement son organe de règlement des différends.
Y a-t-il des tendances positives qui sont apparues cette année et qui pourraient faire avancer le multilatéralisme ? À quoi ressemble la poursuite actuelle du multilatéralisme ?
L’élection de Joe Biden est évidemment une grande nouvelle pour le multilatéralisme, car elle rompt avec l’exubérance destructrice de Donald Trump sur le plan international et signe le grand retour des États-Unis dans le système multilatéral.
Cela ne signifie certes pas que l’Amérique sera nécessairement plus accommodante qu’avant sur nombre de dossiers - on s’attend à un assouplissement limité et très conditionnel des positions américaines vis-à-vis de la Chine, en particulier sur le plan commercial, et un fort durcissement vis-à-vis de la Russie - mais elle jouera à nouveau le jeu des institutions, du dialogue et de la diplomatie. La nouvelle administration démocrate aura à cœur aussi de rétablir la crédibilité et la qualité de la signature américaine en droit international, après les retraits unilatéraux décidés par Donald Trump de l’Accord de Paris sur le climat, du traité sur le nucléaire iranien (JPCoA) ou encore de l’OMS, qui ont, sans le mettre à terre, grandement fragilisé l’ordre international.
Il n'en demeure pas moins qu'il faudra scruter les effets de la réorientation de la politique étrangère américaine : en particulier, le projet d'organiser un sommet des démocraties par la nouvelle administration Biden est séduisant, à l’heure où la démocratie occidentale subit la concurrence décomplexée de modèles alternatifs. Mais il pourrait également réintroduire des lignes de fracture idéologique très fortes dans le champ de la coopération internationale, de nature à grever les efforts de la communauté internationale dans la réponse à apporter aux grands défis globaux, pour certains existentiels pour l’humanité, comme le climat, la biodiversité, le développement ou la santé, qui exigent souvent une coopération entre les États au-delà des clivages idéologiques. Pour réussir ce sommet, il faudra parvenir à défendre la démocratie et les droits de l’homme sans pour autant aboutir à une rupture ou à un découplage complet du système international, au risque de fragiliser in fine l’action collective.
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