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30/11/2018

Quelles sont les ambitions de la Chine en Europe du sud ?

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Quelles sont les ambitions de la Chine en Europe du sud ?

Le président chinois Xi Jinping entame une tournée internationale du 27 novembre au 5 décembre. Outre le G20 en Argentine, et une visite au Panama, il se rendra en Espagne puis au Portugal. La Chine compte renforcer ses relations économiques avec l'ensemble du sud de l'Europe. Par Philippe Le Corre, chercheur à Harvard Kennedy School et Carnegie Endowment for International Peace.

On ne peut pas dire que le président chinois Xi Jinping néglige les pays européens. Depuis son élévation au poste suprême de secrétaire général du Parti communiste en 2012, il s'est notamment rendu en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, en République tchèque, en Pologne, en Belgique...

Mais la tournée internationale qui s'annonce ce mercredi a de quoi intriguer car elle démarre en Espagne et se termine au Portugal, deux pays qui participent de l'offensive chinoise en Europe du sud. Entre temps, le numéro un chinois sera au G20 (en Argentine) où il rencontrera Donald Trump dans une ambiance plutôt tendue, d'où l'intérêt manifeste de la Chine pour l'Europe, et celle du sud en particulier.

Le Portugal, ex-puissance coloniale en Extrême Orient

Cette dernière n'est pas a priori une région de prédilection pour la Chine, qui n'a jamais eu de rapports très suivis avec les civilisations méditerranéennes. Les aventures en Chine du navigateur vénitien Marco Polo appartiennent plutôt à la légende européenne. Plus intrigante est la relation avec le Portugal, ex-puissance coloniale qui conquit nombre de territoires en Extrême Orient, de Goa à Formose, en passant par Malacca et Macao. Rétrocédé à la Chine en 1999, deux ans après Hong Kong, ce petit territoire fut le dernier confetti de l'empire portugais en Asie et on ne peut pas dire qu'il ait permis à Lisbonne d'exercer la moindre influence dans la région. En revanche, la signature d'un partenariat stratégique avec Pékin dès 2004 a révélé une proximité insoupçonnée, qui n'a pas fait défaut lors de la crise de la dette en 2009.

Au retour du G20, on peut s'attendre à la signature de plusieurs grands contrats symboliques destinés à ancrer sur le long-terme cette relation très particulière entre une ancienne super-puissance et une super-puissance montante.

Pas à pas, la Chine a donc pris pied au Portugal depuis cette époque, et multiplié les investissements, pour atteindre 12 milliards d'euros en 2018 : dans le pétrole (Galp), l'électricité (EdP ; REN), le transport aérien (TAP), les assurances (Fidelidade), les hôpitaux privés (Grupo Luz Saúde), les médias (Global Media Group), les services financiers, l'immobilier, le tourisme qui est à la hausse...

Ce n'est, semble-t-il, qu'un début : il y a quelques mois, China Three Gorges, société d'Etat déjà actionnaire d'EdP à 23,3 %, a offert de prendre le contrôle du groupe d'électricité (en partie public) portugais. L'offre a été officiellement rejetée par le conseil d'administration, mais côté gouvernement, on s'est refusé à intervenir, quitte à semer l'inquiétude à Bruxelles et à Washington, où les intérêts d'EdP dans l'énergie renouvelable sont bien connus.

Probables signatures de grands contrats

Lors de la visite d'Etat en grande pompe qui s'annonce le 4 décembre, au retour du G20, on peut s'attendre à la signature de plusieurs grands contrats symboliques destinés à ancrer sur le long-terme cette relation très particulière entre une ancienne super-puissance et une super-puissance montante. Ainsi, la signature d'un laboratoire spécialisé dans la construction de microsatellites d'observation maritime dénommé STARLab semble acquise dans les Açores. Un partenariat semble également probable dans le port de Sines, qui s'ajouterait à l'escarcelle portuaire chinoise laquelle compte déjà en partie Athènes, Gênes, Trieste (Italie), Valencia, Bilbao, Barcelone... sans oublier Haifa et Ashod (Israël). On le voit, les pays de la Méditerranée ne sont pas en reste, y compris l'Italie, la Grèce et l'Espagne.

Le Portugal, la Grèce, Malte et Chypre rivalisent de stratégies pour accueillir des investisseurs chinois grâce à une procédure dite des "golden visas" permettant, selon les pays, d'obtenir un droit de résidence permanente -donc un passeport européen- si l'on acquiert un bien immobilier allant de 200.000 euros (Chypre) à 500,000 euros (Portugal).

Près de 4.000 citoyens chinois ont bénéficié de ce mécanisme au Portugal, un peu moins en Grèce. Les autorités de Lisbonne s'acheminent vers un soutien sans vergogne à l'expansion chinoise en Europe, notamment à travers le projet Belt and Road (BRI), que Pékin cherche à promouvoir sur tous les continents - à l'exception peut-être de l'Amérique du nord. Or le Portugal pourrait bien être une destination clé de cette ambitieuse stratégie chinoise consistant à faciliter la construction d'infrastructures ferroviaires, routières ou digitales, tout en investissant dans des installations aéroportuaires et portuaires jusqu'en Europe.

Le Portugal, la Grèce, Malte et Chypre rivalisent de stratégies pour accueillir des investisseurs chinois.

Nouveau départ pour l'Espagne

L'Espagne était jusqu'ici relativement discrète en Chine, et à l'égard des investisseurs chinois, mais il semble que la visite du président Xi symbolise un nouveau départ. Madrid n'entend pas être tenu à l'écart, et tente d'offrir ses services à la Chine pour les marchés sud-américains. Les investissements chinois auraient atteint 1,6 milliard d'euros en 2016, année durant laquelle la Chine a acquis deux entreprises technologiques espagnoles Aritex et Eptisa. Le groupe hôtelier NH était de son côté passé entre les mains du chinois HNA, mais ce dernier - en difficulté en Chine - chercherait à revendre sa participation majoritaire.

De leur côté, la Grèce et l'Italie ont enregistré de nombreux investissements chinois : le groupe de transport maritime COSCO détient actuellement 67 % du Port du Pirée à Athènes, cependant que l'Italie a attiré depuis une dizaine d'années une cascade d'acquisitions chinoises, majoritaires ou minoritaires dans l'énergie (Enel, Eni, CDP Reti), l'industrie pneumatique (Pirelli), l'automobile (Fiat), la machine-outil (Cifa) ou encore le luxe (Ferragamo, Ferretti). De nombreuses PME italiennes ont également été rachetées.

Influence politique?

La Chine exerce-t-elle pour autant une influence politique sur les pays dans lesquels elle investit ? Dans le cas de la Grèce, la question s'est posée à deux reprises, lorsque Athènes a pris parti pour Pékin en 2016, puis en 2017, sur des questions de droits de l'homme ou de liberté de circulation maritime. De même, plusieurs pays - dont l'Italie, pourtant à l'origine de cette initiative avec la France et l'Allemagne - ont émis des hésitations à soutenir le projet (quasiment bouclé) de la Commission européenne de contrôler davantage les investissements chinois dans la technologie ou les infrastructures. La position du gouvernement portugais demeure ambigüe.

Les enquêtes d'opinion réalisées par l'institut Pew Research reflètent des perceptions diverses de la part de ces pays du sud. Italiens et Espagnols, notamment, demeurent sceptiques quant aux investissements chinois (c'est moins le cas en Grèce ou au Portugal). Pour autant, la Chine a commencé à s'implanter durablement dans cette partie de l'Europe, attirant du même coup des sympathies nouvelles dans une région où les investissements américains et même européens avaient considérablement baissé ces dernières années ce qui n'a pas échappé à Pékin, qui poursuit son opération de charme avec ces deux visites d'Etat. A bon entendeur...

 

Avec l'aimable autorisation de La Tribune (publié le 27/11/18).

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