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22/01/2019

Quel rôle pour la France au Moyen-Orient ?

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Quel rôle pour la France au Moyen-Orient ?
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Du 27 au 29 janvier prochain, Emmanuel Macron se rend en Egypte, dans une région aux multiples conflits où les émotions sont les plus fortes et souvent irréconciliables.

"Vers l'Orient compliqué, je volais avec des idées simples. Je savais que, au milieu de facteurs enchevêtrés, une partie essentielle s'y jouait. Il fallait donc en être." C'est par cette phrase si souvent citée que s'ouvre le chapitre Orient du tome I des Mémoires de guerre du général de Gaulle. Nous sommes en avril 1941, le chef de la France libre vole vers Le Caire.

Dans quelques jours, le président Emmanuel Macron s'envolera lui aussi vers la capitale égyptienne pour un voyage officiel. Au-delà de la polémique - "faut-il s'afficher aux côtés du maréchal Sissi, dont le régime piétine si brutalement les droits de l'homme ?" - se posent des questions plus globales. La France, et au-delà l'Europe, ont-elles encore un rôle à jouer dans cette région du monde et pourquoi ?

L'avenir économique du monde est en Asie, son avenir démographique en Afrique. Au-delà de ses ressources en hydrocarbures et de sa proximité géographique avec l'Europe, le Moyen-Orient continue d'être la région des émotions les plus fortes et les plus irréconciliables.

Hier encore, le conflit israélo-arabe, devenu israélo-palestinien, constituait la matrice des problèmes de la région. Aujourd'hui, s'il existe plus que jamais un conflit Iran-Israël, la rivalité Arabie saoudite-Iran est devenue prédominante. Les Iraniens regardent les Saoudiens de haut. Ces derniers sont encore plus obsédés par leur rival perse que ne peuvent l'être, en Asie, les Japonais par les Chinois.

Le diktat de la realpolitik à court terme

Le problème Israël-Palestine subsiste, mais - et c'est une constante qui s'applique particulièrement à la région - la loi du plus fort s'est imposée. Israël a gagné. Les Palestiniens ont été défaits, tout comme ont pu l'être les opposants au régime Assad en Syrie, ou sur un plan politique les Kurdes. Pas plus que les Palestiniens, ils ne sont sur le point d'avoir un Etat. Quel sera le coût de cette victoire pour Israël ? Les valeurs éthiques du judaïsme, défendues avec talent et courage, par le grand écrivain récemment disparu, Amos Oz, ont pesé de peu de poids face au diktat d'une vision de realpolitik à court terme.

Fatigue géopolitique

Au-delà de cette révolution matricielle se déroule sous nos yeux - largement en l'absence de l'Europe - comme un passage de relais entre l'Amérique et la Chine. La Russie peut marquer des points mais elle n'a pas les moyens, contrairement à la Chine, de s'implanter de manière décisive dans la région.

Le retrait de l'Amérique n'est pas tant la résultante d'une autosuffisance énergétique que d'une fatigue géopolitique. 

Le retrait de l'Amérique n'est pas tant la résultante d'une autosuffisance énergétique que d'une fatigue géopolitique. Après s'être fourvoyés dans des aventures militaires douteuses, les Etats-Unis ne veulent tout simplement plus risquer la vie de leurs soldats.

La Chine s'engage différemment, de manière plus économique que militaire. Mais pour affirmer son nouveau statut international et préserver un accès à des ressources énergétiques indispensables à sa croissance, elle se déclare désormais prête à prendre des risques.

La troisième évolution de la région correspond à une forme de "nostalgie des empires". Au Moyen-Orient, les héritiers de l'Empire perse (les Iraniens) et ceux de l'Empire ottoman (les Turcs) sont autant des rivaux que des partenaires. Ils possèdent de plus un point commun essentiel : leurs sociétés civiles respectives sont - pour partie au moins - beaucoup plus mûres et modérées que ne peuvent l'être leurs dirigeants. Sans les mollahs au pouvoir à Téhéran, le conflit entre l'Iran et Israël aurait-il une telle virulence ? Sans Erdogan à Ankara, la politique turque serait elle aussi conflictuelle ? Il est clair également que sans Mohammed Ben Salmane au pouvoir à Riyad, la politique saoudienne serait moins aventureuse.

Nostalgies d'empires

Ces nostalgies d'empires, recèlent bien sûr des divisions profondes au sein de l'Islam sunnite (Frères musulmans, salafistes, wahhabites) et entre sunnites et chiites. Mais se pourrait-il que ces divisions de nature religieuse ne fassent que servir d'alibi à des ambitions et des calculs nationaux sinon personnels, comme ceux d'Erdogan en Turquie, qui avance de moins en moins masqué ?

Jusqu'à une période récente, l'Egypte était un "grand" de la région, un pays qui fort de sa démographie (près de cent millions d'habitants) et de son identité préislamique se voyait presque comme l'empire du Milieu de son environnement régional, l'équivalent pour le Moyen-Orient de ce qu'est la Chine pour l'Asie.

Aujourd'hui hélas,l'Egypte est à l'inverse perçue comme le "grand malade", la "Cocotte-Minute" prête à exploser et sur laquelle on maintient - à coups de milliards - le couvercle sur la marmite. La fragilité de l'Egypte donne lieu à un débat contradictoire, classique, entre deux camps. Pour le premier, il n'est pas raisonnable de garder le silence sur les violations réitérées des droits de l'homme dans l'Egypte de Sissi. En se taisant sur le présent, on offense l'avenir.

L'Egypte est perçue comme le "grand malade", la "Cocotte-Minute" prête à exploser.

Pour le second camp, le soutien au printemps arabe, n'a-t-il pas conduit la région à plus de chaos, plus de répression, dans la presque totalité des pays affectés par le "virus de la liberté" ? L'Egypte, précisément parce qu'elle est l'Egypte - l'héritière d'une civilisation millénaire et raffinée - ne mérite-t-elle pas bien mieux que notre silence ?

Pays incontournable

En même temps, en dépit de sa faiblesse et de ses dérives sécuritaires, l'Egypte est un pays qui demeure incontournable (bientôt aussi sur le plan gazier) et qui, au côté de pays beaucoup plus petits comme la Libye ou la Tunisie, font sens pour un pays comme le nôtre. Pour peu bien sûr que nos efforts s'exercent avec ceux de l'Italie en Libye. Pour peu aussi que nous ne nous prenions pas à rêver que nous pouvons jouer un rôle de substitution à celui des Etats-Unis dans la région.

 

Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 21/01/19).

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