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11/12/2017

Quel coût pour la transition énergétique ? Les réponses de Benjamin Fremaux

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Quel coût pour la transition énergétique ? Les réponses de Benjamin Fremaux
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Deux ans après la tenue de la COP21 et suite au retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, les inquiétudes grandissent. Le One Planet Summit vise ainsi à remettre sur le devant de la scène internationale l’impératif de lutte contre le changement climatique en envisageant les financements indispensables à la transition écologique. Qu’en-est il des montants promis ? Sont-ils à la hauteur des enjeux ? Analyse de Benjamin Fremaux, Senior Fellow auprès de l’Institut Montaigne et auteur de la note Energie, priorité au climat!.

L’Accord de Paris a entériné le principe d’une enveloppe de 100 milliards de dollars consacrée chaque année à partir de 2020 au financement de projets d’adaptation au dérèglement climatique. Ces moyens vous semblent-ils suffisants pour accélérer la décarbonation de l’économie à l’échelle mondiale ?

Les pays développés ont pris l’engagement à Copenhague en 2009 de mobiliser 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 pour aider les pays en développement à lutter contre le changement climatique en réduisant leurs émissions de gaz à effet de serre (atténuation) et en réduisant leur vulnérabilité face aux conséquences des dérèglements climatiques (adaptation).
 
Remettons le chiffre de 100 milliards de dollars dans son contexte : le PIB mondial est d’environ 80 000 milliards. Celui des pays développés en représente la moitié. Cela veut dire qu’à l’horizon 2020, les pays les plus développés ne devront consacrer qu’un quart de pourcent de leur richesse à l’aide des moins développés dans la lutte contre le changement climatique.

A titre de comparaison :

  • Selon The Lancet Countdown on Health and Climate Change, les pertes économiques liées aux événements météorologiques extrêmes s’élevaient l’année dernière à près de 130 milliards de dollars ; 
  • Si l’on se penche sur l’exemple allemand, le coût de l’Energiewende (nom donné à son programme de transition énergétique), consistant en la sortie du nucléaire en 2022 et une électricité 100 % renouvelable en 2050, est de 25 milliards d’euros par an.

Ces quelques ordres de grandeurs permettent de relativiser le chiffre de 100 milliards promis par les "pays développés", même si celui-ci constitue un plancher amené à être relevé.

Quels sont selon vous les leviers permettant d’accélérer cette transition à moindre coût économique ?

La réponse dépend beaucoup de la zone géographique considérée et de son niveau de développement. A l’échelle mondiale, la consommation d’énergie primaire est dominée à 85 % par les énergies fossiles : le pétrole (33 %), le charbon (28 %) et le gaz naturel (24 %). Mais si l’on regarde de plus près, un pays comme la Chine dépend encore massivement du charbon pour sa production d’électricité. Si un pays comme la France dispose d’un mix électrique très faiblement carboné grâce au nucléaire et dans une moindre mesure à l’hydroélectricité, son mix énergétique est encore dépendant à 30 % du pétrole, particulièrement dans le secteur des transports, ou à 14 % du gaz, dont dépend le secteur du chauffage des bâtiments.

La Chine cherche à concentrer ses moyens sur son mix électrique, notamment avec le développement des énergies renouvelables et du nucléaire. La France, quant à elle, devrait accentuer ses efforts sur le secteur des transports (véhicules propres, transport en commun) et l’efficacité énergétique (l’isolation thermique des bâtiments résidentiels ou tertiaires). A niveaux de développements différents, réponses différentes.

Les finances publiques étant toujours contraintes, il est primordial que les États aient une vision globale de leur stratégie de lutte contre le changement climatique et mesurent, pour chacune des actions envisagées, le coût pour le contribuable de la tonne de CO2 évitée. En toute logique, il faudrait commencer par les politiques publiques les moins coûteuses. En France comme dans d’autres pays, le politique est malheureusement plus guidé par des considérations court-termistes que par un souci d’efficacité de sa politique climatique à long-terme.

La tarification du carbone fait désormais l’unanimité auprès des économistes comme des responsables politiques. Quels sont, selon vous, les principaux freins à son application concrète ? Quelles sont les premières étapes qui devront être franchies ?

Deux outils principaux permettent de fixer un prix du carbone : (I) les marchés de quotas d’émissions et (II) les taxes relatives au CO2.

Les pays de l’Union européenne ont mis en place, il y a dix ans, le plus grand marché international d’échange de quotas d’émissions. Il ne concerne que les industriels, grands émetteurs de gaz à effet de serre. Ce système a beaucoup été critiqué en raison des fraudes à la TVA qu’il a permis au début des années 2010, et plus récemment, parce qu’il n’a pas fait émerger un prix du CO2 jugé suffisant (le prix de la tonne de CO2 sur ce marché est inférieur à 8 €). Cela s’explique par le nombre trop important de quotas alloués gratuitement à certains industriels. Les pays européens ont corrigé ces erreurs de "jeunesse", et la nouvelle période 2021-2030 d’échange de quotas devrait être beaucoup plus incitative.

Les taxes sur le CO2 concernent les émissions diffuses. Ce sont des accises sur les énergies fossiles. Ce type de taxes n’est pas nouveau : une taxe intérieure pétrolière a été mise en place dans notre pays en 1928. En revanche, la vocation environnementale de ces taxes est beaucoup plus récente. En France, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) intègre une composante carbone depuis 2014. A la différence d’un marché de quotas qui définit ex ante la quantité et laisse le marché fixer le prix, la taxe définit ex ante le prix.

Comme pour le dumping social, le dumping environnemental est une réalité. Pour y répondre, les débats portent aujourd’hui sur l’extension de ces systèmes (de marché ou de taxe) au niveau mondial. En effet, un système de taxes ou de quotas amoindrit la compétitivité des pays qui y sont soumis. Pour les entreprises qui peuvent délocaliser leur production, cela entraîne des "fuites de carbone" et d’emplois dans des pays moins regardants. La solution théorique serait de mettre en place une taxe carbone aux frontières qui taxe également le contenu carbone des produits importés. C’est le rôle d’enceintes multilatérales comme la Conférence des Parties (COP) rattachée à l’ONU que d’essayer de convaincre un maximum de pays d’élever leur niveau d’exigence environnementale. Mais les modalités d’application concrète d’une telle taxe aux frontières et sa légalité au regard des règles du commerce international n’ont jamais été réglées.
 

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