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02/02/2022

Primaire populaire : vote mention gauche désunie

Trois questions à Bruno Cautrès

Primaire populaire : vote mention gauche désunie
 Bruno Cautrès
Chercheur au CNRS et au CEVIPOF

La primaire populaire qui s’est tenue du 27 au 30 janvier s’était donnée pour mission de rassembler la gauche. Bien que la victoire de Christiane Taubira risque de ne pas tenir cette promesse, l’originalité du scrutin questionne plus profondément les conditions de l’expression politique en France. L’Institut Montaigne pose 3 questions à Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et au CEVIPOF, pour saisir ce qui s’y est joué en filigrane.

La primaire populaire s’est organisée autour d’un scrutin au jugement majoritaire évaluant chacune des candidatures présentées et s’écartant donc du traditionnel vote majoritaire à deux tours. Quels enseignements peut-on tirer de cette méthode ?

Le premier enseignement que l’on doit en retirer, c’est qu’il y a une réflexion, politique mais aussi académique, quant au choix majoritaire. Le vote qui s’est tenu sur trois jours questionne les modalités de désignations et le fonctionnement d’un scrutin. On voit alors que lorsqu’on innove avec de nouveaux processus électoraux, on n’obtient pas forcément les mêmes résultats que ceux que l’on aurait eu avec une simple réplique du scrutin majoritaire à deux tours, véritable pierre angulaire de la vie politique française.  L’annonce des résultats a d’ailleurs pu prendre par surprise les Français. Les mentions des candidats (allant de “bien” à “insuffisant”, en passant par “passable”) ont pu amuser mais elles soulignent avant tout un questionnement plus profond sur l’expression politique et le cadre dans lequel elle s’exprime. 

Il faut toujours regarder les questions institutionnelles et les questions de techniques démocratiques avec le plus grand intérêt. Il ne faut pas pour autant sur-exagérer la corrélation entre engouement citoyen, participation électorale et mode de scrutin. Pour dresser un parallèle, la littérature internationale n'établit pas que la représentation proportionnelle va forcément dans le sens de la participation. De la même manière, on peut se demander si le vote qui a eu lieu avec la primaire populaire peut créer un précédent. On peut, en revanche, souligner que ce qui reste irremplaçable aux yeux des électeurs, c’est avant tout la diversité des candidats, la qualité du débat public et les grandes questions que posent une élection. Le scrutin, lui, n’est pas en soi une garantie d’engouement participatif. 

La primaire populaire est un témoignage éloquent qui montre qu’une partie de la gauche française ne se retrouve pas dans des appareils partisans classiques.

Le constat de réussite de la primaire populaire ne peut se dresser en noir et blanc. Incontestablement, cette primaire est une initiative intéressante qui nous dit des choses importantes. Elle nous dit que notre système démocratique français a besoin d'être revitalisé. Il a besoin d’initiatives nouvelles qui échappent dans une certaine mesure aux partis politiques classiques. Il n’est pas question d’opposer des pans de la société française. Plutôt, la primaire populaire est un témoignage éloquent qui montre qu’une partie de la gauche française ne se retrouve pas dans des appareils partisans classiques.

Elle nous dit peut-être aussi quelque chose sur des transformations politiques générationnelles à l'œuvre.

La primaire s’inscrit dans un ensemble de questionnements que l’on voit dans la plupart des pays développés et portant sur les limites du modèle partisan tel qu’on l’a connu depuis les années 1950. Les partis politiques eux-mêmes sont traversés par les mêmes questionnements. La réussite d’Emmanuel Macron et la mue de son mouvement En Marche ! en parti de gouvernement est une illustration de ce changement. Le versant négatif de ces interrogations est l’image chaotique que renvoie la gauche aux français dans ses divisions. Et malgré les près de 400 000 votants, ces chiffres restent très faibles par rapport à il y a cinq ans où, à titre de comparaison, Benoît Hamon était sorti vainqueur d’une primaire à 2 millions de participants. 

Avec plus de 392 000 participants, le vote qui s’est tenu sur trois jours a rassemblé plus que les primaires d’EELV et LR. Que sait-on du profil de ces votants ? 

Il n’y a pas, à ce jour, de bases de données avec assez d’éléments pour mener une étude sociologique approfondie des votants. En outre, d’autres questions se profilent. La première est de savoir si, d’une part, les électeurs étaient très motivés politiquement. La seconde, d’autre part, s’ils venaient de courants politiques particuliers et ont pu échapper aux analyses politiques plus traditionnelles jusqu’ici. C'est bien sûr aux jeunes participants à cette primaire que l'on peut penser. 

La question de l’électorat est importante car on peut se demander s’il y a eu un profil sociologique à gauche qui a conduit Christiane Taubira vers ce résultat. On peut aussi se demander si elle aurait reçu la même adhésion dans un schéma de candidature plus classique. Cela pourrait nous éclairer et nous faire comprendre comment la primaire populaire a pu créer une dynamique pour la candidate hors des chemins plus traditionnels. Bien que disparue des radars, l’ancienne garde des Sceaux est toujours restée pour beaucoup d’électeurs de gauche une figure clé qui inspire respect et sincérité. Ayant voulu émerger comme un choix de dernier ressort, sa victoire peut se comprendre à l’aune de cette analyse. 

La question de l’électorat est importante car on peut se demander s’il y a eu un profil sociologique à gauche qui a conduit Christiane Taubira vers ce résultat.

Bien qu’elle ait voulu rassembler la gauche, cette primaire semble avoir l’effet contraire. Après ce vote, la gauche est-elle vouée à la désunion jusqu’à la présidentielle ? 

Il y a deux facettes du problème. Une tient à la forme que prend la compétition électorale pour la gauche, l’autre tient aux désaccords qui séparent les candidats dans le fond. 

La forme qu’a pris le débat à gauche est à l’image de la désunion qui y règne et est illustrée par un trop plein de candidatures. La situation rappelle celle du 21 avril 2002, date à laquelle se sont départagés 16 candidats à la présidentielle dont 9 de gauche. Christiane Taubira était d’ailleurs déjà l’un de ces candidats. Aujourd’hui, les aspirants appellent à l’unité à condition qu’elle se fasse derrière leur propre programme. Mais au-delà des luttes d’égo, cela montre aussi qu’ils sont des personnes de convictions. 

Néanmoins, le problème de la gauche n’est pas son nombre de candidats. D’une certaine manière, le nombre de prétendants pourrait renvoyer l’image d’une gauche extrêmement vivante, riche de ses talents et de ses profils. Cette diversité pourrait même être un aspect positif. Mais cet argument tiendrait seulement s’il y avait un réel socle de politiques publiques et de propositions concrètes sur lequel bâtir un projet. 

Il y a, certes, de grandes valeurs, aussi bien sur la justice sociale que sur l’écologie. Sur les grands principes, tout le monde est d’accord. Mais derrière ceux-ci, les priorités de l’action publique font l'objet de désaccords profonds. Prenez les institutions. Aucune des forces à gauche n’est d’accord sur la trajectoire que devrait prendre la Vème République. Les voix ne s’accordent pas sur la fin du système politique actuel, la création d’une VIème République, voire le dosage de VIème République que l’on devrait introduire dans la Vème. Il y a aussi des désaccords importants sur l’Europe, alors qu’un Chef d’Etat français ne peut se permettre d’être un acteur mineur à cette échelle. Le même constat peut être fait avec la jeunesse. Tous s’accordent pour mettre un pied à l'étrier sur le sujet, mais concrètement comment cela devrait-il se dessiner ? La gauche ne s’accorde pas non plus là dessus.  

Tant que les différentes positions des candidats n’auront pas fait l’objet d’un consensus en bonne et due forme sur la stratégie à adopter à gauche, cette dernière sera vouée à la désunion. La primaire populaire ne règle pas ces problèmes. Elle peut éventuellement atténuer le problème de la forme en permettant une première unité. Mais elle ne règlera pas les désaccords de fond qui continueront à saper l’unité de la gauche.
 

Copyright : Thomas COEX / AFP

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