Il se trouve qu’en France, une très large partie des sondages politiques et d’intentions de vote réalisés par les instituts de sondages sont opérés par la "méthode des quotas" et non la stricte méthode aléatoire6, pour des raisons contingentes fortes (la loi française protège le secret statistique et notamment sur les questions politiques et l’on ne peut, sauf rare exception, tirer au sort des individus sur les données du fichier du recensement qui sont, par nature nominatives). Les instituts de sondage gèrent cette situation en rappelant que les estimations d’un sondage se lisent en ayant à l’esprit leur marge d’erreur et que l’on peut, par précaution, s’appuyer sur ce raisonnement même si l’échantillon n’est pas un échantillon aléatoire.
Les marges d’erreur : un principe de précaution méthodologique fort utile
En suivant ce principe de précaution méthodologique, nous avons calculé les marges d’erreur de plusieurs des estimations livrées par les deux sondages (voir l’annexe : tableaux 1 à 4). Nous ne l’avons fait que pour les candidatures de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron pour le premier comme le second tour. Pour réaliser ces calculs nous avons pris comme base les pourcentages publiés par les deux sondages et nous avons tenu compte des indications fournies par l’un et l’autre à propos des votes exprimés et du nombre d’électeurs se déclarant certains d’aller voter et certains de leur choix. Nous avons calculé ces marges d’erreur avec à chaque fois deux seuils de confiance : une confiance à 95 % et une confiance à 99 %. Cela nous permet de calculer pour chaque pourcentage, ce que l’on appelle "l’intervalle de confiance". L’intervalle de confiance c’est l’intervalle dans lequel se situe la "vraie valeur", celle du paramètre dans la population avec un risque d’erreur de 5 % ou de 1 % selon les seuils de confiance choisis. Plus le risque d’erreur recherché est faible, plus l’intervalle de confiance est étendu : la certitude dans l’estimation se paie au prix d’une moindre précision.
Prenons un exemple : dans l’enquête IPSOS, Marine Le Pen est en tête du premier tour avec 26 % des suffrages exprimés. On peut être confiant à 95 % que cette valeur est comprise dans la population (ou si l’on répétait à l’infini les échantillons) entre 22.6 % et 29.4 %, ce qui correspond à une marge d’erreur de + ou- 3.4 points de pourcentage. Emmanuel Macon est crédité de 24 %. En appliquant le même raisonnement on peut être confiant à 95 % que ce score est compris entre les deux bornes de l’intervalle de confiance, c’est-à-dire entre 20.7 % et 27.3 % (marge d’erreur de + ou - 3.3 points de pourcentage). Ces deux intervalles de confiance ne se recoupent qu’en partie et l’on voit qu’un "mauvais Emmanuel Macron" (dans la zone basse de son intervalle de confiance) est distancé par une "mauvaise Marine Le Pen" (également dans la zone basse de son intervalle de confiance). En revanche, un "Emmanuel Macron moyen" pourrait rattraper ou passer devant une "mauvaise Marine Le Pen" tandis qu’une "très bonne Marine Le Pen" ne pourrait être vraisemblablement rattrapée par un "très bon Emmanuel Macron" si tous les deux sont dans la partie haute de leurs intervalles de confiance.
Quant au second tour, et avec une immense prudence, on voit que dans le cas du sondage Harris-Interactive7, le scénario d’un match serré et d’une quasi-égalité entre les deux candidats ne peut être exclu. On laisse ici au lecteur le soin de lire, avec attention, les tableaux de données présentés ici et les documents mis en ligne par les sondeurs.
Conclusions
En démocratie, la bonne information du citoyen est une donnée non-négociable de la qualité du processus démocratique le plus fondamental : l’élection des dirigeants politiques et la campagne électorale qui l’accompagne. La production de sondages politiques et notamment de sondages d’intentions de vote en période pré-électorale, voire loin de l’élection, contribue à l’information du citoyen sur l’état de l’opinion, comme le font les autres balises grâce auxquelles les citoyens se repèrent dans l’univers complexe du choix électoral : médias, journalistes, réseaux sociaux, production livresque sur la politique (traditionnellement abondante en France). Les partis politiques, les acteurs de la société civile, les leaders d’influence contribuent également à ce processus complexe et foisonnant d’information. C’est incontestablement un signe de bonne vitalité démocratique.
Les précautions méthodologiques sont néanmoins essentielles à rappeler pour pouvoir bénéficier au mieux de cette production d’information et de données. Un enjeu démocratique important, qui pourrait faire l’objet de davantage d’initiatives en France, est celui de la formation des citoyens au bon usage et à la bonne lecture de cette information et de ces données. C’est toute la problématique de l’autonomie et de l’émancipation des citoyens par rapport aux informations qu’ils reçoivent dont il est ici question. D’importants progrès ont été réalisés en France (et restent à poursuivre) sur toutes ces questions à propos des sondages, tant par les instituts de sondages eux-mêmes que dans le dialogue entre sondeurs, universitaires et spécialistes de la statistiques publique8.
Nous espérons avoir œuvrer en ce sens en appelant à prendre tout le recul qu’il convient d’avoir à plus d’un an de l’élection, alors que la liste des candidats comporte encore beaucoup d’inconnues et que les thèmes qui vont structurer l’espace de la compétition électorale n’ont pas encore tous émergé.
Copyright : Eric FEFERBERG / POOL / AFP
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