Sur les équilibres internes, rappelons que les caucus progressiste et centriste sont désormais à poids quasi-égal à la Chambre des représentants (beaucoup moins au Sénat, où les centristes dominent encore le groupe démocrate, mais où les progressistes ont désormais plusieurs présidences de commissions cruciales). Sur la politique étrangère, les choses sont encore plus floues pour l’instant : on sait que l’équipe démocrate entend en priorité "renouer le lien entre politique étrangère et politique intérieure", leitmotiv du premier discours du secrétaire d’État Antony Blinken, et imaginer la "politique étrangère pour les classes moyennes", chère au conseiller à la Sécurité nationale, Jake Sullivan. On s’interroge toujours sur la signification précise de cette réorientation et ses conséquences pour le reste du monde et l’Europe en particulier.
Cette double ambition doit se comprendre à l’aune du choc Trump pour les démocrates, mais aussi de plusieurs évolutions profondes de la société américaine : la crise existentielle de la démocratie américaine d’abord, liée notamment aux suites du 6 janvier et à l’évolution anti-démocratique d’une partie des républicains ; le basculement de l’opinion américaine sur le rôle de l’État fédéral dans la société et l’économie, 40 ans après la révolution reaganienne ; enfin le repositionnement en cours du monde des affaires, vis-à-vis de la société et des partis.
Ce que l’on peut appeler le retour de l’État-providence répond en effet à une évolution de l’opinion américaine sur le rôle du gouvernement fédéral, qui représente sans doute la tendance contemporaine la plus frappante aux États-Unis, rendant possible l’ambition de l’agenda Biden. Un quart de siècle après la déclaration de Bill Clinton sur "la fin de l’ère du big government", plusieurs sondages illustrent l’appétence des Américains, tous partis confondus, pour un rôle plus fort de l’État fédéral dans la société et l’économie. En 1995, sous Bill Clinton donc, 62 % des Américains trouvaient le gouvernement fédéral "trop ambitieux" ; en avril 2021, ils ne sont plus que 41 %, tandis que 55 % pensent, à rebours de Reagan, que le gouvernement doit apporter des solutions. Cette tendance reflète des évolutions dans les deux partis, et les élus républicains n’avaient rien eu à redire aux dizaines de milliards d’aide de Trump aux agriculteurs pour faire face à la guerre commerciale avec Pékin.
Ce qui soutient l’activisme de Biden, au-delà de sa popularité, de la réouverture et du rebond économiques en cours, c’est aussi l’évolution de l’attitude des milieux d’affaires, de plus en plus en rupture avec le parti républicain : sur les évolutions sociétales, sur le climat, mais surtout sur l’évolution anti-démocratique de certains élus. À cet égard, l’assaut du Capitole le 6 janvier dernier a marqué une véritable rupture, qui reste cependant à suivre. Aujourd’hui, les milieux d’affaires américains s’inquiètent davantage de la radicalisation des Républicains que des réformes proposées par Biden. Même la hausse de la taxation des sociétés n’a pas soulevé la fureur attendue, d’autant que certains craignaient un retour aux 35 % pré-Trump, et que les PME sont épargnées ; par ailleurs, de nombreux secteurs se réjouissent des centaines de milliards annoncés sur les infrastructures. En politique étrangère, la doctrine Biden n’a pas encore émergé, et la nouvelle synthèse n’est pas évidente, au-delà de l’intention affichée d’une politique étrangère pour les classes moyennes.
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