Mais l'immigration ne compense plus le déclin naturel et a entraîné une montée des tensions dans les villes et des incidents racistes. Le Kremlin a donc expérimenté de nouvelles approches.
L'une d'elles, qui concilie objectifs géopolitiques et démographiques, est la "passeportisation" ou distribution de passeports russes dans les zones occupées ou contestées - Abkhazie, Ossétie du Sud, Transnistrie, Crimée, Donbass, Nagorny-Karabakh. Même avant la guerre de 2008, 90 % des Abkhazes et des Ossètes du Sud avaient des passeports russes. Et au cours des trois dernières années, au moins 650 000 citoyens du Donbass ont obtenu un passeport russe.
Une autre consiste à faciliter la naturalisation des russophones. Après une réforme de 2014 en ce sens, un plan d'action de 2019 visait à accorder la citoyenneté à 5 à 10 millions de personnes d'ici 2025, en ciblant les russophones de l'ancienne Union. En 2020, la Russie a accueilli un nombre record de nouveaux citoyens - 660 000 dont 410 000 d'Ukraine et 145 000 d'Asie centrale.
Enfin, l'annexion de la Crimée a permis, d’un trait de plume, à 2,5 millions de personnes supplémentaires de devenir citoyens russes.
L'Ukraine comme réservoir de population ?
En résumé, ce contexte démographique confirme la véritable catastrophe géopolitique qu'a été la "perte" de l'Ukraine (et de sa population de 52 millions d'habitants à l'époque), et explique pourquoi l'indépendance de cette dernière a été ressentie comme une quasi-amputation par la Russie.
De nouvelles annexions de territoires à l'Ouest aideraient la Russie à résoudre son problème démographique. Mais cela est moins probable et moins souhaitable pour elle qu'un scénario dans lequel l'Ukraine resterait proche de la Russie - idéalement en tant que membre de l'UEE. Une Ukraine dans le giron russe permettrait un afflux beaucoup plus important de travailleurs slaves "allant vers l'Est" plutôt que "vers l'Ouest" (vers la Pologne en particulier). Comme le dit un expert, les Ukrainiens "sont des migrants presque idéaux. En tant que Slaves de l'Est, ils sont considérés comme faciles à intégrer ; ils apportent les compétences nécessaires au marché du travail russe".
Cela ne veut nullement dire que le facteur démographique est au cœur de la stratégie de Moscou vis-à-vis de l'Ukraine. Mais négliger cette dimension reviendrait en revanche à fermer les yeux sur une composante historique, culturelle et sociopolitique importante de l'identité nationale russe et de la vision géopolitique du Kremlin.
Copyright : Yuri KADOBNOV / AFP
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