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13/05/2020

Pour un débat constructif sur le temps de travail

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Pour un débat constructif sur le temps de travail
 Bertrand Martinot
Auteur
Expert Associé - Apprentissage, Emploi, Formation Professionnelle

La note Rebondir face au Covid-19 : l’enjeu du temps de travail a fait l’objet d’une attention très soutenue dans les médias et sur les réseaux sociaux depuis sa publication le 6 mai dernier.

Ce travail s’inscrit dans la ligne constante de l’Institut Montaigne depuis 20 ans, à savoir formuler des propositions concrètes permettant de soutenir la compétitivité de notre pays et de renforcer sa cohésion sociale. La polémique ne nous effraie pas et elle est très saine en démocratie. Doit-elle aller jusqu’à proférer des menaces physiques ou de mort parce que nous osons aborder la question du temps de travail ? Chacun jugera et on retiendra que des femmes et des hommes politiques d’extrême gauche et d’extrême droite, mêlés, ont fait le choix d’alimenter, parfois sans aucune retenue, ce flot haineux.

Ces quelques lignes n’ont pas l’ambition de répondre à cette pulsion populiste, à ceux qui ne proposent rien d’autre que l’affrontement, à ceux qui ne font que parier sur la politique du pire. En revanche, elles pourront peut-être intéresser ceux qui débattent sincèrement des enjeux économiques et sociaux liés au redémarrage de notre pays.

Plusieurs critiques concernent le moment choisi pour formuler ces propositions. Nous les entendons. Notre but n’est certainement pas de remettre en question la solidarité et les efforts fournis par l’ensemble de la société française durant ces deux mois de confinement, ni de précipiter un retour à l’activité sans prendre en compte le respect des mesures sanitaires et de sécurité sur les lieux de travail et la spécificité de chaque situation. Il reste que le sujet du temps de travail apparaît tellement polémique en France qu’il n’est pas certain qu’il y ait jamais un bon moment pour l’aborder de manière sereine… Nous refusons d’emblée l’idée que certaines questions devraient rester taboues.

Les entreprises, en phase de reprise, vont souvent devoir faire face à une baisse importante de la productivité horaire pendant toute la période où des mesures de protection drastique des salariés seront nécessaires.

Concrètement, la plupart de nos propositions s’appuient sur les dispositifs législatifs mis en place ces dernières années, aussi bien par la loi El Khomri de 2016 que par les ordonnances Pénicaud de 2017. Sur le fond, cette note décrit les raisons pour lesquelles, selon nous, un accroissement raisonné et défini de manière décentralisée et surtout négociée du temps de travail pourrait être utile et favorable à la reprise de l’activité. L’argument essentiel est que les entreprises, en phase de reprise, vont souvent devoir faire face à une baisse importante de la productivité horaire pendant toute la période où des mesures de protection drastique des salariés seront nécessaires. Dans ce contexte, et uniquement dans les secteurs qui seront en tension au moment de la reprise, la hausse ou, du moins l’aménagement du temps de travail, pourra en partie compenser cette évolution.

Au-delà de cet argument de court terme, il doit être rappelé que la durée du travail est l’un des paramètres sur lequel il est possible de jouer pour créer davantage de richesses. Son augmentation, ni générale ni imposée d’en haut, est à ce titre l’un des leviers qui pourraient permettre à notre pays de retrouver plus rapidement son niveau de production d’avant la crise. En contribuant au redressement des entreprises - voire à leur survie - face à cette crise d’une rare ampleur, elle pourrait limiter les baisses de rémunérations et la hausse du chômage que la récession actuelle va malheureusement entraîner.

Elle contient par ailleurs une proposition originale, consistant à donner la possibilité aux entreprises de conclure des accords autorisant le paiement d’heures et de jours supplémentaires travaillés de manière différée en les intégrant dans des schémas de participation, d’intéressement ou d’épargne salariale. Cette solution, qui n’est évidemment pas universelle, pourrait permettre à certaines entreprises de passer un cap difficile et aux salariés d’être davantage associés à la réussite à venir de ces dernières via un partage salaires/profits davantage en leur faveur.

Il nous semble en outre indispensable, tant pour des raisons d’efficacité économique (meilleur service rendu au public, plus grande rapidité et agilité des administrations) que d’équité, que le secteur public soit également concerné par cet effort national de reprise. Même si la note ne l’envisage pas - et nous aurions dû y faire allusion -, il faut évidemment réserver un traitement particulier aux secteurs qui ont été exposés directement à la gestion sanitaire de la crise du Covid-19, sujet qui dépasse de loin la question du temps de travail. Partant de ce principe, nous proposons diverses modifications de la réglementation du temps de travail dans la fonction publique, notamment l’extension du nombre d’agents rémunérés au forfait jours ou encore la suppression, à titre provisoire, d’une dizaine de jours de RTT.

L’urgence sanitaire et le recours massif au chômage partiel ont pour l’instant occulté la gravité de la situation économique et sociale.

En outre, afin de rattraper une partie du retard scolaire pris par les élèves durant le printemps, qui pourrait avoir des conséquences très négatives, même à long terme, la note propose exceptionnellement en 2020 la suppression d’une semaine de vacances scolaires à la Toussaint.

Comme l’a souligné LeMonde.fr dans une analyse de "fact checking" très serrée visant à recenser les fausses nouvelles qui ont circulé sur les réseaux sociaux, cette note propose des mesures négociées entreprise par entreprise, et essentiellement provisoires, sauf pour la suppression d’un jour férié (nous avons proposé le jeudi de l’Ascension). Elle n’envisage aucunement une hausse autoritaire du temps de travail qui prendrait par exemple la forme d’une diminution du nombre de congés payés. Les propositions de la note ne seront évidemment pertinentes que dans les secteurs et les entreprises qui en verront la nécessité, d’autres étant plutôt dans l’obligation de diminuer le temps de travail (tourisme ou restauration par exemple).

L’urgence sanitaire et le recours massif au chômage partiel ont pour l’instant occulté la gravité de la situation économique et sociale. A l’heure du déconfinement, l’institut Montaigne est parfaitement dans son rôle en insistant sur l’importance de la mobilisation collective autour du travail pour faire face à la crise. Il en va de notre capacité à préserver les valeurs de solidarité, d’unité et de responsabilité qui se sont de nouveau manifestées durant ces premières semaines de lutte contre le Covid-19 et qui sont la condition du redressement de notre système productif dans les prochaines années.

 

Copyright : Sebastien SALOM-GOMIS / AFP

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