L’homme fort de Davao, indiscipliné assumé durant sa jeunesse (il fut renvoyé par deux fois du lycée et une fois d’une université privée), conseiller spécial sur les questions de sécurité auprès de la présidente Gloria Arroyo (2001-2010), se fera élire sur les slogans : "j’ai pu développer Davao, je vais développer la nation toute entière". Ou bien : "s’il le faut, j’imposerai la loi martiale pour instaurer la discipline, la loi martiale sous le président Marcos fut une bonne chose pour le pays". Ainsi, l’indiscipliné qui voulait discipliner son peuple passait, contre toute attente, de la position de "potentat local" à celle de père de la Nation. L’utilisation des pronoms possessifs dans les discours est une marque de fabrique du Président : ma police, mes soldats, ma ville, etc. sont autant d’indices que Rodrigo Duterte n’a pas encore enfilé ses habits de Président mais reste d’abord et avant tout le maire de Davao. D’ailleurs, il rentre le plus souvent possible à Davao et passe le moins de temps possible au palais présidentiel (Malacanang) à Manille, car, dit-il, il n’arrive à dormir que dans son lit à Davao.
"La guerre contre la drogue", une arme politique ?
"Je vous promets du sang, la baie de Manille sera couverte de cadavres et les poissons seront bien gras" disait le candidat Duterte lors de sa campagne. Et de fait, le programme phare du Président, "la guerre contre la drogue", fut immédiatement mis en application. A ce jour, depuis le 1er juillet 2016, 108 059 opérations anti-drogue ont été menées (dont près de 40 % depuis la fin 2017), aboutissant à l’arrestation de 155 193 personnes et à la mort de 4 854 personnes, tuées lors de ces opérations de police. Mais, les organisations de défense des droits de l’Homme évaluent que plus de 12 000 personnes ont été exécutées sommairement par des escadrons de la mort. Ainsi, la "guerre contre la drogue" du Président Duterte a dépassé, en moins de deux ans, le nombre d’exécutions sommaires commises durant les quatorze années de la dictature du Président Marcos.
Mais, au-delà des statistiques,l’utilisation politique de la "guerre contre la drogue", afin d’éliminer les opposants au pouvoir, tant nationaux que locaux, semble se confirmer. La première victime fut la sénatrice Leila De Lima, l’ancienne cheffe de la Commission des droits de l’Homme puis Ministre de la Justice sous l’administration Aquino (2010-2016). L’ennemie numéro 1 de Rodrigo Duterte fut accusée de contrôler le trafic de drogue de l’archipel et fut incarcérée en février 2017. De même, le maire de la ville d’Iloilo, Jed Mabinog, en exil au Japon, est accusé de protéger le trafic de drogue dans les Visayas. Or, M. Mabinog est un cousin de l’ancien président du Sénat et leader du parti Libéral, Franklin Drilon. Pour nombre d’observateurs, il ne fait aucun doute qu’en s’attaquant à Mabinog, le pouvoir tente d’intimider le sénateur Drilon, grand critique du Président. La Vice-présidente, Leni Robredo, n’est pas non plus épargnée. En effet, depuis août 2018, son beau-frère, Butch Robredo, est accusé, par le président Duterte, d’être à la tête d’une mafia contrôlant le trafic de drogue dans la province de Bicol et plus particulièrement dans la ville de Naga.
D’autres personnalités, opposées à la "guerre contre la drogue", mais non accusées de protéger les mafias, ont été les cibles du Président Duterte en 2018. La première fut Maria Lourdes Sereno, cheffe de la Cour suprême. Mme Sereno est une cible de choix pour le Président Duterte depuis l’accession de celui-ci au pouvoir en juin 2016. Ce dernier, non seulement l’insulte mais va même, dans certains discours, jusqu’à la traiter "d’ennemie personnelle".
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