Fascinée par l’image héroïque de Kagame, la communauté internationale ne semble pas avoir lu ce rapport, pourtant gros de 500 pages fortement documentées, et s’en tient à sa mansuétude envers celui que le professeur Filip Reyntjens de l’Université d’Anvers appelle "le plus grand criminel de guerre au pouvoir aujourd’hui". La confiance que Kagame a en lui-même se prolonge à l’aune du dédain pour la vérité qu’affiche la communauté internationale lorsque, par exemple, le Parquet de Paris requiert un non-lieu (13 octobre 2018) dans le procès contre ses proches impliqués dans l’attentat qui avait coûté la vie à Habyarimana.
Depuis janvier 2018, il est devenu Président de l’Union Africaine et fait la leçon à ses pairs pour lesquels il n’a qu’une estime limitée.L’opposition a été mise au pas par des méthodes robustes : le député Léonard Hitimana et l’ancien président de la Cour de Cassation Augustin Cyiza ont disparu sans laisser de traces, le Vice-Président du Parti Vert (opposition) a été retrouvé mort après avoir été torturé, le journaliste Jean-Léonard Rugambage, qui enquêtait sur le Général Kayumba Nyamwasa, passé à l’opposition, a été tué en 2010 après que Kayumba lui-même a été victime de deux tentatives d’assassinat, l’ancien chef de la Sécurité Patrick Karegeya a été retrouvé étranglé dans la chambre d’un hôtel sud-africain le 1er janvier 2014, le journaliste d’opposition Charles Ingabire, survivant du génocide, a été abattu en pleine rue à Kampala en novembre 2011. Et ainsi de suite. La violence s’était même "démocratisée" depuis 2016 avec les exécutions sommaires de dizaines de petits délinquants (voleurs de vaches, contrebandiers, pêcheurs employant des filets illégaux…) tués par l’armée sans autre raison que de faire peur afin "d’assurer l’ordre". Lors de sa récente libération, Victoire Ingabire qui avait été condamnée à la prison à vie pour avoir oser se présenter aux élections contre Kagame, a déclaré : "J’espère que c’est le début de l’ouverture de l’espace politique au Rwanda". La réalisation de cet espoir semble malheureusement peu probable.
Kagame est un homme de fer. Mais même le fer finit par rouiller. Il y a quelques années, il faisait face à toutes les épreuves avec un flegme que nous dirions "britannique", mais que l’on appelle "itonde" en kinyarwanda. Lorsque le Colonel Tauzin déclare, alors qu’il met en défense Gikongoro, "qu’il ne fera pas de quartier si le FPR attaque" et qu’un officier lui traduit (Kagame ne parle pas français) en disant : "ça veut dire qu’il tuera tous les blessés", il se limite à observer : "C’est un peu hostile, non ?". Or, aujourd’hui, le même homme houspille ses gardes du corps, gifle une secrétaire et piétine en public un ministre qui lui a déplu. Beaucoup de ses anciens camarades d’il y a trente ans sont dans l’opposition et vivent en exil. Lui et Museveni se détestent depuis que le Président ougandais a enquêté sur la mort de Rwigema. Il fournit aujourd’hui de l’aide à une guérilla tenace qui s’est infiltrée et retranchée dans la forêt de Nyungwe. Paul Kagame est le maître du Rwanda, le seul chef d’Etat africain à pouvoir parler d’égal à égal avec les grands de la planète, et capable de peser sur les décisions de la plupart des tribunaux internationaux. C’est un pouvoir massif et solitaire, et le pouvoir absolu est absolument solitaire.
Illustration : David MARTIN pour l'Institut Montaigne
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