Cet épisode confère une visibilité nationale à Bolsonaro, dont la notoriété était limitée à sa zone électorale (Rio de Janeiro) et à quelques secteurs de l’extrême-droite. Pour élargir sa base électorale et renforcer sa posture de présidentiable à l’approche du scrutin, Bolsonaro s’efforce ensuite de tempérer ses élans rhétoriques.Il laisse à ses sympathisants le soin de prendre le relai et d’œuvrer – dans les rues et via les réseaux sociaux – à la "bolsonarisation" de l’espace public.
S’il est une attraction médiatique, l’homme n’est pourtant pas un tribun. Il est même franchement austère, aux antipodes des grands orateurs latino-américains, des populistes classiques du siècle passé tels Vargas ou Perón, ou des dirigeants charismatiques du 21e siècle comme Lula ou Chávez. Il est particulièrement mal à l’aise dans les débats. Conscient de ses limites, il a refusé, pour des raisons "médicales et stratégiques", de participer aux six débats télévisés prévus dans l’entre-deux tours. Et il suffit d’écouter son premier discours en tant que président élu pour prendre la mesure de son style oratoire : ton monocorde, visage crispé, les yeux accrochés à ses notes. Les minutes paraissent des heures. C’est sur les réseaux sociaux que Bolsonaro excelle et s’affirme. Lorsqu’il faut condenser et simplifier. Lorsqu’il peut librement déformer les faits et jouer avec les chiffres pour produire ses "vérités", sans contradicteur. A la fois dans son époque et hors du temps, il mobilise les nouvelles technologies avec une touche rétro, voire vieillotte. A l’heure où certains testent des meetings par hologramme, lui organise des discours en duplex par téléphone portable. Son allocution récitée depuis la terrasse de sa résidence, dans un quartier huppé de Rio de Janeiro, et destinée à des milliers de militants amassés sur la principale avenue de São Paulo, est un modèle de modernisation désuète…
Les Brésiliens qui ont voté pour lui au second tour de l’élection présidentielle n’ont tenu rigueur ni de ses excès rhétoriques, ni de son inefficience en trente ans de mandats, ni même de la vacuité de son programme. Mais ils ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas. Chez Jair Bolsonaro, tout est limpide comme l’eau d’un bénitier. Le nouveau Président est une Bible ouverte : il affirme ce qu’il pense et il pense ce qu’il affirme. Ses paroles ont valeur de vérité. Une question demeure, alors qu’il doit prendre ses fonctions le 1er janvier 2019 : jusqu’où est-il prêt à aller pour faire aboutir son projet ? Le risque de voir la démocratie se déliter et le gouvernement dériver vers une forme d’autoritarisme ne doit pas être pris à la légère, tant le mépris de Bolsonaro pour les institutions démocratiques, les droits humains et les libertés fondamentales est prononcé.
Bibliographie
Flávio Bolsonaro, Jair Messias Bolsonaro - Mito ou Verdade, Rio de Janeiro: Altadena Editora, 2017.
Illustration de David MARTIN, pour l'Institut Montaigne.
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