Ces mesures et ces appels à la responsabilité des pollueurs n’ont pas eu beaucoup d’effet – on a d’ailleurs enregistré une augmentation des cultures sur brûlis au Punjab. D’où des réponses d’urgence, dont les plus significatives ont consisté à fermer les écoles et, pour les particuliers et les entreprises, à équiper bureaux, logements et voitures particulières de purificateurs d’air. Un bar où on peut faire le plein d’oxygène au moyen de bouteilles d’air comprimé a même ouvert – on peut y "consommer" pendant un quart d’heure à un tarif allant de 299 (heure creuse) à 499 roupies (heure d’affluence).
Si Delhi forme l’épicentre de ce qu’on appelle "l’airpocalypse", non seulement d’autres villes, coincées comme la capitale indienne sous l’arc himalayen (Lucknow, Faridabad, Kanpur, Varanasi, Agra etc.), battent également des records de pollution, mais c’est aussi le cas d’Ahmedabad, Pune, Hyderabad, Mumbai, Bangalore etc.
Depuis le pic de pollution à Pékin en janvier 2013, comment les autorités chinoises ont-elles traité la crise de la qualité de l’air en Chine ?
MATHIEU DUCHÂTEL
Le plus spécifique au cas de Pékin, c’est le basculement d’une posture de déni à la déclaration soudaine d’une urgence nationale. L’exaspération de la frange la mieux informée de la population de la Chine du Nord et l’image internationale désastreuse que renvoie la pollution dans la capitale chinoise finissent par converger lors de l’épisode "airpocalypse" de janvier 2013. Les taux de polluants dans l’air sont alors très comparables aux mesures réalisées à New Delhi cet automne. À Pékin et dans la province du Hebei, qui concentre les industries lourdes, dont près de 25 % de la production nationale d’acier, la concentration de particules PM 2.5 dépasse 1000 μg/m3 à plusieurs reprises, et la moyenne stagne autour de 500 μg/m3, un niveau auquel les effets sur la santé des plus fragiles sont immédiats. L’air que l’on respire à Pékin a alors un goût de métal.
Les résidents de Pékin sont habitués aux successions de deux à trois jours d’épais brouillard toxique. Les vents du nord finissent toujours par le dissiper. Mais le pic de janvier 2013 frappe par son intensité, sa durée et son niveau de nuisance (annulations de centaines de vols par exemple). Avant cette crise, la pollution était traitée comme un autre dossier politique trop sensible sur lequel il valait mieux garder le silence pour éviter d’alarmer la population. Les médias chinois fermaient l’œil malgré le coût pour la santé publique, qui se compte en années d’espérance de vie et en cancers du poumon.
En 2013, le seul indicateur disponible pour les PM 2,5 est celui de l’ambassade des États-Unis, grâce au capteur qu’elle a installé sur son toit pour le prix d’une voiture. Accessibles sur le compte Twitter de l’ambassade et via des applications smartphones, les mesures exercent une pression forte sur les autorités chinoises en raison de la couverture médiatique internationale qu’elles génèrent, mais aussi de l’attention qu’elles créent au-delà de la communauté étrangère de Pékin auprès des résidents qui cherchent à s’informer.
La sortie du déni est brutale. Une fois la qualification du problème d’urgence nationale et l’annonce par le Premier Ministre Wen Jiabao, en mars 2014, d’une "guerre contre la pollution", l’État chinois redouble d’efforts, avec sa force de frappe, son efficacité et sa capacité à assumer des dommages collatéraux sévères sur les intérêts particuliers, mais en recherchant malgré tout un équilibre entre qualité de l’air et intérêts industriels. Un plan d’action national de 2013 assigne à la zone Pékin/Tianjin/Hebei l’objectif ambitieux d’une réduction de 25 % de leurs émissions annuelles de PM 2,5 à l’horizon 2017. Quant à Pékin, ses émissions doivent être contrôlées à un niveau inférieur à 60 μg/m3, un objectif qui demeure malgré tout très supérieur à la norme de l’OMS, 10 μg/m3.
Ces objectifs sont atteints, mais le problème de pollution demeure. En 2018, la moyenne annuelle à Pékin est de 58 μg/m3. Les pics sont plus espacés et moins violents mais n’ont pas entièrement disparus – 202 au 22 novembre 2019. Les problèmes avec d’autres polluants, comme l’ozone, restent graves. Mais les villes du Hebei étouffées par la pollution – Shijiazhuang, Tangshan, Handan, Baoding et Langfang – ont connu des réductions comparables.
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