Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
30/01/2019

Plan de lutte contre les addictions, ce qu’il faut retenir

Analyse croisée entre Marion Leboyer et Pierre-Michel Llorca

Imprimer
PARTAGER
Plan de lutte contre les addictions, ce qu’il faut retenir
 Marion Leboyer
Responsable du pôle de Psychiatrie des hôpitaux universitaires Henri Mondor, directrice de la Fondation FondaMental
 Pierre Michel Llorca
professeur de psychiatrie, chef de service au CHU de Clermont-Ferrand

Le Plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 présenté le 8 janvier 2019, s’inscrit dans la continuité du plan gouvernemental 2013-2017 de lutte contre les conduites addictives. Qu’en retenir ? Les deux psychiatres Marion Leboyer et Pierre-Michel Llorca, co-auteurs de Psychiatrie : l’Etat d’urgence, en décryptent les grandes orientations et les principaux axes.

Le plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 a été rendu public par le gouvernement le 8 janvier 2019. Doit-on se réjouir des mesures annoncées ?

L’adoption d’un second plan de mobilisation pour lutter contre les addictions est un signal important. Elle prend acte de l’enjeu de santé publique que recouvrent les consommations de drogues et substances ainsi que les conduites addictives au sens large. Le préambule du Premier ministre rappelle à la fois les dommages pour la santé (78 000 décès sont liés chaque année au tabac et 49 000 décès liés à l’alcool) ainsi que les dommages sociaux (l’abus d’alcool et de substances est en cause dans un nombre conséquent de violences et d’accidents de la route). Par ailleurs, ce plan s’inscrit dans le prolongement du précédent et aborde toutes les dimensions de la lutte contre les addictions, depuis la prévention, à travers des actions de sensibilisation des différents publics, à la construction d’une réponse sanitaire et judiciaire adaptée, en passant par une politique de lutte contre les trafics, par un soutien à la recherche et à l’amélioration de nos connaissances, jusqu’à la prise en compte des actions menées à l’international en intégrant une harmonisation de nos pratiques. Toutefois, s’il faut saluer la volonté de se saisir de ce problème de santé publique et d’y apporter des réponses transversales, on peut regretter malgré tout l’absence de mesures de financement précises ainsi que le manque d’ambition politique sur certains sujets sur lesquels la communauté médicale et scientifique attendait des réponses plus adaptées à l’importance de l’enjeu. C’est d’ailleurs assez paradoxal : alors que ce plan est très étayé et fait la part belle aux données scientifiques dont nous disposons (notamment sur l’efficacité de certaines actions de prévention des risques menées à l’étranger), il apparaît "timide" tant sur l’adoption de certaines de ces mesures, notamment concernant le tabac et l’alcool, que sur la priorité donnée à l’effort de recherche.

Au lendemain de la présentation du plan, le Conseil économique, social et environnemental (Cese), en partenariat avec la Cour des Comptes, a rendu un avis sur les addictions au tabac et à l'alcool, faisant écho aux nombreux commentateurs qui ont déploré l'absence de politique sur ces sujets. Ne doit-on pas en faire une priorité de santé publique? (Rappel : 49 000 morts par an de l'alcool, 5 millions de personnes touchées pour un coût de 8,6 milliards d'euros).

L’avis du Conseil économique social et environnemental, comme la mobilisation des acteurs impliqués dans la lutte contre les addictions, poussent l’action publique à davantage d’ambition sur ces deux sujets majeurs que sont le tabac et l’alcool. Il faut rappeler que l’on parle là de deux sujets qui sont respectivement responsables de la première et deuxième cause de mortalité évitable. A lui seul, l’alcool représente, chez les 18-25 ans, la première cause de mortalité.

60 % des Français souhaitent une taxation plus forte et 70 % une interdiction de la publicité pour les boissons alcoolisées.

Le moins que l’on puisse dire est que la puissance publique a fait montre de divergences sur le sujet. On se souvient tous des déclarations de la Ministre de la santé, Madame Agnès Buzyn, en février 2018, déplorant que la consommation de vin soit traitée comme un sujet "à part" et affirmant : "En termes de santé publique, c’est exactement la même chose de boire du vin, de la bière, de la vodka ou du whisky (…). Scientifiquement, le vin est un alcool comme un autre". Ces paroles fortes et attendues avaient été très vites contredites par le président de la République, rappelant qu’aucune mesure de durcissement de la Loi Evin ne serait adoptée sous son quinquennat.

C’est très regrettable d’autant plus que, contrairement aux idées reçues, l’opinion des Français sur l’alcool s’est durcie. En effet, un sondage, commandé par la Ligue contre le Cancer et dont les résultats ont été communiqués en juin 2018, montre que 60 % des Français souhaitent une taxation plus forte et 70 % une interdiction de la publicité pour les boissons alcoolisées. Cette même étude démontrait qu’ils sont deux sur trois à penser que le lobbying des alcooliers nuit à la mise en place d’une politique de santé efficace… L’absence de mesures emblématiques concernant l’alcool dans ce plan, comme l’interdiction de publicités pour l’alcool à proximité des écoles ou encore l’établissement d’un prix minimum, ne nous permet pas de contredire ces inquiétudes.

Dans votre ouvrage Psychiatrie : l'état d'urgence, vous rappelez que la consommation de cannabis fait partie des facteurs de risque de psychose, en particulier à l'adolescence. L'alcool en fait également partie. Pouvez-vous revenir sur les liens entre addiction et les troubles psychiques ?

Il s’agit là de deux problématiques différentes qu’il convient de distinguer, bien qu’elles entretiennent des liens forts. Les troubles addictifs sont reconnus comme des troubles psychiatriques en tant que tels, dans les différentes classifications internationales. Ils font l’objet de prises en charge spécifiques en addictologie. En effet, l’addictologie a été identifiée comme une discipline universitaire spécifique, depuis plus de 10 ans, aux confluents de la psychiatrie mais aussi de l’hépato-gastro-entérologie, de la médecine interne, de la pharmacologie et de la pneumologie. L’impact de santé publique des conduites addictives a conduit également à la mise en place d’une organisation soignante dédiée déployée en France depuis le premier plan addiction en 2013. Mais qu’il s’agisse de cannabis, de tabac, d’alcool ou d’autres substances psycho-actives, l’addiction est souvent présente chez des sujets présentant un trouble psychiatrique caractérisé (comme une schizophrénie, un trouble bipolaire ou un trouble anxieux). On parle alors de comorbidité. Les troubles addictifs sont plus fréquents dans ces populations que dans la population générale et ont des conséquences spécifiques.

Des travaux en cours, menés notamment au sein des Centres Experts de la Fondation FondaMental, démontrent par exemple que cette comorbidité addictive est associée à un risque accru de rechute dans les troubles bipolaires ou encore dans les schizophrénies. Par ailleurs, d’un point de vue épidémiologique, la consommation précoce et fréquente de cannabis est associée à un risque accru de première décompensation psychotique chez les personnes présentant des facteurs de vulnérabilité.

L’addiction est souvent présente chez des sujets présentant un trouble psychiatrique caractérisé (comme une schizophrénie, un trouble bipolaire ou un trouble anxieux).

La prévention est donc un enjeu de premier ordre, tant pour éviter l’installation d’un trouble addictif que pour éviter l’aggravation d’un trouble psychiatrique préexistant ou, dans le cas du cannabis, pour éviter de précipiter un épisode psychotique chez un sujet vulnérable.

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne