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17/02/2022

Plaidoyer pour réenchanter la psychiatrie

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Plaidoyer pour réenchanter la psychiatrie
 Marion Leboyer
Auteur
Responsable du pôle de Psychiatrie des hôpitaux universitaires Henri Mondor, directrice de la Fondation FondaMental

Comment relever les défis qui se posent à la discipline ? Que peut-on espérer des récentes annonces gouvernementales en faveur de la santé mentale ? Le Pr Marion Leboyer, professeur de psychiatrie à l’Université Paris Est Créteil, directrice de la Fondation FondaMental et lauréate du Grand Prix Inserm 2021, nous livre son analyse en trois questions. 

Après deux années de crise sanitaire, quels sont les défis auxquels la psychiatrie fait face ?

La crise sanitaire, par son impact sur la santé mentale des Français, a changé la donne et a permis un début de prise de conscience. Entre fin septembre et début novembre 2020, la prévalence des troubles dépressifs a doublé, touchant particulièrement les jeunes, les femmes, les soignants et les populations les plus précaires. La pandémie s’est accompagnée également d’une forte augmentation des tentatives de suicide chez les 10-15 ans. 

L’explosion des besoins de soins lors de la crise Covid a révélé notre vulnérabilité face aux troubles de la santé mentale dans un contexte pandémique. Le phénomène n’est pas nouveau et avait été décrit lors des précédentes pandémies, toutefois, il est inédit en France et a provoqué une certaine stupeur. Pourtant, dans le même temps, la persistance des fausses représentations et de la méconnaissance qui entourent ces troubles reste aussi forte qu’il y a 40 ans et continue de nuire aux patients et aux soignants. Trois exemples marquants liés à la crise du Covid-19 illustrent cette situation et nous font prendre la mesure du travail qu’il reste à accomplir pour mieux informer la population et déstigmatiser les troubles psychiatriques. 

Le premier exemple tient à la difficulté d’un très grand nombre de patients à identifier les premiers signes de dépression et à aller consulter. Le deuxième exemple porte sur les liens entre infection au Covid-19, inflammation et développement d’un trouble psychiatrique qui ont été largement documentés mais restent trop méconnus : en effet, les personnes contaminées par le Covid-19 présentent des risques accrus de développer un trouble psychiatrique (dépression, troubles anxieux, troubles du sommeil, stress post-traumatique ou encore difficultés cognitives) dans les 6 mois suivant l’infection, qu’il y ait eu hospitalisation ou pas. Et pourtant, malgré les données probantes de la littérature, la psychiatrie reste aujourd’hui encore tenue à l’écart de la prise en charge des “Covid longs”. Enfin, il a été démontré que les personnes déjà atteintes d’une maladie mentale sont aussi plus à risque d’attraper le Covid et de développer une forme sévère. Pourtant, ce n’est que trop tardivement qu’une mesure a été prise pour que ces patients soient vaccinés de manière prioritaire.

La psychiatrie française, déjà très fragilisée, fait face à un autre défi de taille lié à une perte d’attractivité préoccupante.

La psychiatrie française, déjà très fragilisée, fait face à un autre défi de taille lié à une perte d’attractivité préoccupante : la psychiatrie n’est aujourd’hui qu’en 40ème position dans les choix de classement des internes, tandis qu’infirmiers et aides-soignants quittent les services hospitaliers. Inverser la tendance et réenchanter la discipline est absolument essentiel pour contrer la fuite des talents et assurer des soins à la fois dignes et de qualité.

Les Assises de la santé mentale, qui se sont déroulées en septembre 2021, témoignent d’une réponse politique sans précédent à un sujet de société longtemps laissé de côté. C’est la première fois qu’un Président de la République s’exprime sur le sujet. C’est un signe fort qui, je l’espère, augurera des transformations profondes. 

Vous appelez de vos vœux une refonte de l'organisation des soins en psychiatrie. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

La psychiatrie fonctionne selon un modèle pensé dans les années 1960, qui a représenté une formidable révolution en son temps mais qui n’a pas fondamentalement été revu depuis, ce qui constitue une exception dans le système de santé. Aujourd’hui, nous nous devons d’amorcer une évolution profonde de l’organisation des soins en psychiatrie. 

Ce chantier répond à une attente forte des patients et de leurs proches, qui dénoncent un système de prise en charge illisible et inégalitaire. Par ailleurs, ce chantier est également rendu urgent par les défauts et les failles de nos prises en charge, dont témoignent les indicateurs médico-économiques : les troubles psychiatriques représentent le premier poste de dépenses de l’Assurance maladie (à hauteur de près de 23 milliards d’euros), notamment du fait du poids des hospitalisations de longue durée; le fardeau est évalué à 160 milliards d’euros si l’on considère l’ensemble des coûts directs et indirects.

Un premier frein à l’innovation et à la refonte des soins tient au système de financement de la psychiatrie,  la dotation annuelle de financement (DAF), qui reconduit des budgets opaques sans aucune évaluation de la qualité des soins dispensés. Les budgets ne sont pas non plus adaptés aux populations qu’ils prennent en charge, négligeant leur taille ou les caractéristiques médicales (pathologies, comorbidités). Certains territoires sont défavorisés et les populations sont souvent plus lourdes à prendre en charge sans que le budget ne soit vraiment adapté. 

Un autre enjeu central de la refonte du système de soins en santé mentale tient au nécessaire décloisonnement des pratiques. Pour garantir une qualité des soins adéquate en psychiatrie, il est indispensable de dépasser les clivages entre la psychiatrie et la médecine somatique, entre la ville et l’hôpital mais aussi entre le secteur sanitaire et le secteur social et médico-social. Le fait, par exemple, que  les hôpitaux psychiatriques restent à l'écart, éloignés des services de MCO (médecine, chirurgie, obstétrique) et de leurs plateaux techniques, est une catastrophe et a des effets délétères sur la santé des patients.

Un autre enjeu central de la refonte du système de soins en santé mentale tient au nécessaire décloisonnement des pratiques.

Des travaux ont notamment démontré que l’espérance de vie de patients avec des maladies mentales est écourtée de 13 à 16 ans, largement du fait de comorbidités non prises en charge : contrairement aux idées reçues, le suicide ne constitue pas la première cause de mortalité prématurée des patients mais intervient en troisième position derrière les cancers et les pathologies cardiovasculaires

La mise en place d’une offre de soins graduée constitue un autre axe de refonte du système de soins en santé mentale. Au sein de la Fondation FondaMental, nous militons notamment pour la reconnaissance d’un niveau de recours expertal organisé autour de consultations et de bilans spécialisés par pathologie. 

Enfin, la psychiatrie a besoin de fonder ses pratiques sur les avancées de la recherche. Dans ce domaine, les innovations sont majeures : les stratégies thérapeutiques sont plus efficaces mais elles restent insuffisamment accessibles en soins courants La diffusion des savoirs scientifiques est un enjeu de premier ordre. De même, la psychiatrie doit s’appuyer davantage sur l’utilisation du numérique en santé mentale. Le digital s’impose comme un levier de changement, que ce soit en améliorant le suivi des patients (“thermomètres” digitaux) ou en facilitant l’accès à des ressources comme la psychothérapie. Aujourd’hui les choses bougent. 

Vous avez remporté le Grand Prix de l'Inserm en 2021 pour vos recherches sur les troubles psychiatriques contredisant la perception d'une recherche atone sur le sujet… Comment expliquer cette perception ?

La recherche en psychiatrie illustre les paradoxes de la discipline : elle souffre d'un sous-investissement chronique et pourtant elle se caractérise par une vitalité des travaux qui sont conduits et ce dans tous les domaines, depuis la recherche fondamentale (génétique, imagerie, immunogénétique) jusqu'à la recherche appliquée (soins de réhabilitation). 

Les dix dernières années ont ainsi permis de considérablement améliorer notre compréhension des facteurs de vulnérabilités génétiques et des facteurs de risques environnementaux (pollution, stress, infection). Après avoir longtemps pensé que les maladies psychiatriques étaient des maladies du cerveau, on considère maintenant que ce sont des maladies systémiques dont les atteintes sont multiples. 

Le développement de la médecine de précision s’impose également comme une solution pour prendre en charge les patients du mieux que nous le pouvons. L’innovation dans le domaine de la santé publique est enfin essentielle : par exemple, donner aux généralistes les outils dont ils ont besoin pour mieux dépister les signaux faibles est une avancée nécessaire.  

Pour continuer à soutenir ces avancées, des budgets doivent être alloués. La psychiatrie ne représente aujourd’hui que 2 à 4 % du budget de recherche biomédicale contre 7 % au Royaume-Uni et 16 % aux États-Unis. Lors des Assises de la santé mentale, le Président de la République a annoncé l’adoption d’un programme de recherche dédié à la santé mentale et à la psychiatrie doté d’un budget de 80 millions d’euros. Confié à l’Agence nationale de la recherche à travers les Programmes et équipements prioritaires de recherche exploratoires (PEPR), le projet structurant porté pour la psychiatrie va être soumis à un jury international indépendant. Au-delà de ce programme dédié, le soutien à la recherche en psychiatrie doit s’accompagner également de la proposition de bourses et/ou une revalorisation des carrières universitaires.

 

Copyright : Loic VENANCE / AFP

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