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05/03/2018

Parcoursup : "Il va falloir anticiper le risque non négligeable d’aggravation de la fracture sociale". Trois questions à Edouard Husson

Parcoursup :
 Institut Montaigne
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Institut Montaigne

Admission Postbac est mort, vive Parcousup ! La nouvelle plateforme, lancée le 22 janvier dernier et qui fermera ses portes le 13 mars prochain, doit désormais faire les preuves de son efficacité et de sa valeur ajoutée. Peut-on d’ores et déjà sonner le glas du monde ancien, son lot de ratés, d’affectations manquées et de déceptions en chaîne ? Pas si sûre. La réponse en trois temps par Edouard Husson, vice-président de l’université Paris Sciences & Lettres et co-président du groupe de travail de l’Institut Montaigne sur l’enseignement supérieur.   

Le dispositif d’orientation mis en place à travers parcoursup est-il en mesure d’assurer une meilleure adéquation entre offre et demande de formation ? (via la définition de prérequis et l’étude des dossiers par les universités )

Il y avait, c’est bien évident, de gros problèmes avec Admissions Postbac. En grande partie parce qu’on avait trop bricolé, d’année en année, une plateforme au départ bien conçue. Mais pour Admissions Postbac, la tâche était assez simple : mettre en relation des étudiants et des formations, la plupart du temps sans sélection. Il y avait bien sûr les classes prépas ou, au fil des années, de plus en plus de licences sélectives. Et là, déjà, beaucoup d’interactions entre les futures bacheliers, leurs lycées et les filières d’enseignement supérieur concernées. 
 
L’ambition de Parcoursup est beaucoup plus vaste : le processus d’orientation et d’admission va concerner tous les bacheliers. Lycées comme universités vont devoir traiter un nombre beaucoup plus important de dossiers. On voit bien le risque : toute plateforme nouvelle peut connaître un bug ; les médias se saisiront de tout ratage pour en faire l’illustration des limites de la méthode Macron ; il peut y avoir des emballements sur les réseaux sociaux. Pour l’instant, à voir la discussion sur internet et sur les réseaux sociaux, on sent des inquiétudes et en même temps la conscience de l’enjeu : il ne s’agit pas de savoir si l’on va avoir des places pour un concert mais, pour toute une génération plus nombreuse, de bien partir dans les études. 
 
Selon moi, les zones de danger ne se situent pas forcément où on le dit : je pense que les lycées sont équipés pour accompagner les futurs bacheliers ; on voit bien sur les réseaux sociaux comment tout le monde s’y met (élèves, établissement, parents) mais on va solliciter encore un peu plus des organisations dont on sous-estime souvent la somme de dévouement quotidien qui s’y déploie. Ensuite, les universités ne sont pas encore organisées, sauf exception, pour assumer la somme de tâches : examen des dossiers, plus tard mentorat. Enfin, il va falloir anticiper le risque non négligeable d’aggravation de la fracture sociale avec un système qui se complexifie.

Ce nouveau processus d’orientation basé sur un accompagnement plus fin des élèves en amont est-il plus juste ? Le débat autour de la mise en place d’un processus de sélection est-il fondé ? 

On sort enfin de l’hypocrisie qui a caractérisé jusqu’à récemment notre premier cycle universitaire avec d’un côté ses filières élitistes et de l’autre une sélection inavouée par l’échec à l’Université. Il aura fallu trente ans, soit une génération, pour se remettre de l’échec du projet Devaquet. Et il faut se rappeler qu’il y a dix ans encore, pour pouvoir faire passer la loi LRU, Nicolas Sarkozy avait dû laisser de côté tout l’enjeu de l’entrée en licence. Réjouissons-nous donc que les esprits aient mûri et qu’un gouvernement déterminé ait fait passer un projet de loi court, qui pose bien le cadre d’action. Tout sera ensuite question d’application. Et surtout, il faut déjà anticiper sur les conséquences de la transformation. 
 
La complexité de Parcoursup peut avoir un effet dissuasif sur des élèves peu insérés dans leur institution scolaire ou dont les familles ne sont pas préparées à ce type de démarches. Le volet suivant de la réforme du premier cycle, c’est une intensification et une multiplication des systèmes type "cordées de la réussite". Évidemment cela aura un coût, il ne faut pas se voiler la face. Une lecture optimiste de ce qui est en train de se passer revient à dire que l’on suscite plus d’entraide au niveau des lycées, plus de lien entre les Universités et le secondaire. Mais dans ce cas il faut aussi se donner les moyens d’accroître considérablement les mécanismes de lutte contre l’auto-censure sociale des élèves et de leurs familles. Une lecture pessimiste conduit à s’interroger sur la "sectorisation" croissante de l’enseignement supérieur, que Parcoursup renforce encore. C’est l’avertissement le plus important à formuler : on peut comprendre que, dans un premier temps, l’ancrage territorial du système soit affaire de réalisme. Mais la force de l’enseignement supérieur vient de la mobilité et attention à ne pas tuer la mobilité géographique et sociale avec les meilleures intentions du monde.

La commission instaurée en dernière instance pour les bacheliers sans affectation est-elle en mesure d’assurer une place à chaque élève ? Quel sera le rôle du recteur dans cette commission ?

Il va bien falloir que le système marche et prouve son efficacité par rapport à Admission Postbac. Les commissions vont être regardées de très près ; on va scruter leurs critères de répartition. C’est là que le rôle du recteur d’académie sera essentiel. Les recteurs sont habitués à traiter les difficultés d’affectation lors des rentrées universitaires. Nous aurons besoin de tout leur savoir-faire et de leur autorité de représentants de l’Etat.  

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