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22/06/2021

Opération Barkhane : coup de sifflet final ? 

Trois questions à Michel Goya

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Opération Barkhane : coup de sifflet final ? 
 Michel Goya
Historien et ancien officier des Troupes de marine

Huit ans après l’envoi des premières troupes françaises au Mali pour combattre la poussée djihadiste dans le pays, Emmanuel Macron a annoncé jeudi 10 juin la fin de l’opération Barkhane, dans le cadre de laquelle sont déployés au Sahel 5 100 soldats français. Comment expliquer cette annonce ? Dans quel contexte survient-elle ? Qu’attendre pour la suite ? Michel Goya, ancien colonel de l'armée de terre, enseignant et essayiste spécialisé dans l’histoire militaire et l’analyse des conflits, nous livre son analyse de ce revirement de la stratégie française face à une guerre qui, pour le moment, semble loin d’être terminée.

Le 10 juin, le Président français a annoncé "la fin de l’opération Barkhane" au Sahel. Qu’en est-il réellement ?

Le président de la République a annoncé la fin de l’opération Barkhane, mais pas le retrait de la France de la guerre contre les organisations salafo-djihadistes au Sahel. Il s’agit simplement de la transformation de l’engagement de la France avec une nouvelle opération avec sans doute un nouveau nom, de la même façon que Barkhane avait succédé à Serval en 2014, opération Serval qui elle-même avait remplacé le plan Sahel de Nicolas Sarkozy en 2009 et le lancement de l’opération Sabre du Commandement des opérations spéciales, qui perdure en parallèle de Barkhane

Comme le Président n’a pas évoqué les prémices et les objectifs stratégiques de notre engagement, on peut considérer que ceux-ci n’ont pas changé et que l’on estime toujours la stabilité de la région comme d’une grande importance pour notre sécurité. Ce sont donc la forme, l’organisation et les méthodes qu’il faut modifier, non pas pour se retirer, mais au contraire pour pouvoir rester plus longtemps. Les opérations Barkhane et Sabre coûtent cher humainement, mais aussi financièrement, et on arrive clairement au bout de ce que l’on est capables de faire à ce prix. Les sondages d’opinion commencent à indiquer une majorité désapprouvant l’engagement, ce qui est un indice sûr que l’on approche de la fin. Je donnais récemment une espérance de vie de deux années de vie à Barkhane sous sa forme actuelle, j’étais encore optimiste. 

Concrètement, il s’agit surtout de se retirer de ce qui nous coûte le plus cher au point de vue humain et peut-être aussi en termes d’image, c’est-à-dire nos groupements de forces au Mali. Sans présence forte et visible au Mali, plus de pertes par engins explosifs sur les routes et moins de critiques stupides. Gageons toutefois que ceux qui crient à l’"occupation prédatrice" aujourd’hui seront sans doute les mêmes qui crieront à l’"abandon" dans quelques mois et seront les premiers à appeler à nouveau au secours en cas de problème.

Ce repli du Mali aurait pu - et probablement dû - être fait dès la fin des opérations actives de Serval en 2013, tant tout ce qui s’est passé par la suite était prévisible. 

Comment expliquer cette annonce soudaine, avant même que les détails de la "transformation profonde"de la présence française ne soient révélés ?

L’annonce d’un changement radical de posture d’une opération militaire, et non pas de simples ajustements, est toujours un moment délicat. Il est préférable de le faire en vainqueur plutôt qu’en donnant le sentiment d’être en train de reculer, comme lors de l’engagement en Afghanistan par exemple. Après le sommet du G5 Sahel à Pau en janvier 2020, il était clair que l’effort qui avait été décidé à ce moment-là n’était et ne pouvait être que temporaire, le temps de rétablir une situation très critique. C’est ce qui s’est passé. La pression exercée par Barkhane et Sabre à partir du début de 2020 a été aussi forte que celle de l’opération Serval en 2013. L’ennemi et plus particulièrement l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), membre du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), ont subi des coups très durs et ne peuvent plus conduire d’opérations importantes. Au bord de l’effondrement, les forces armées maliennes, nigériennes et burkinabés ont été sauvées.

Concrètement, il s’agit surtout de se retirer de ce qui nous coûte le plus cher au point de vue humain et peut-être aussi en termes d’image, c’est-à-dire nos groupements de forces au Mali.

Pour autant, on est encore loin d’une situation stabilisée, sans même parler de victoire. Aussi, le changement de posture, dont on attendait l’annonce en février 2021 au nouveau sommet du G5 Sahel à N’Djamena, a-t-il été retardé sine die. Peut-être avait-on l’espoir qu’une année supplémentaire de forte pression permettrait enfin d’avoir des résultats décisifs. Peut-être attendait-on l’élimination d’Iyad Ag Ghali au GSIM et d’Abou Walid al Sahraoui à EIGS pour clamer une victoire suffisante.

Mais une opération militaire s’adresse toujours à plusieurs publics et si les militaires ont tendance à ne voir que l’ennemi, le président de la République voit également l’opinion publique française à un an de l’élection présidentielle et il voit aussi les Alliés, dont l’État malien, dont la responsabilité dans la dégradation de la situation au Sahel depuis vingt ans est écrasante. Cette annonce, qui est d’abord une annonce de retrait du Mali, intervient quelques jours après un nouveau coup d’État au Mali, et même un coup d’État dans le coup d’État d’août 2020. Il faut donc sans doute la voir comme une expression de lassitude de la part du Président Macron et des Français dans leur ensemble devant la corruption et l’incapacité du système politique malien, prompt par ailleurs à utiliser la France comme bouc émissaire. Mais c’est aussi l’emploi de l’action militaire comme moyen de pression sur le gouvernement malien en le plaçant devant la perspective de ne plus bénéficier de la protection française. 

Le Président Macron est un habitué des décisions rapides, parfois à contrepied. Si le changement de posture était "dans l’air" et aurait dû de toute façon survenir, cette annonce soudaine, après consultation quand même des chefs d’État du G5 Sahel, veut sans doute jouer de la surprise pour susciter un choc. Sa mise en œuvre est quand même suffisamment lente pour laisser à tous les acteurs de la région qui dépendent de l’opération Barkhane, et ils sont nombreux, de s’adapter.

Que peut-on attendre du nouveau dispositif ? Sera-t-il en mesure de faire face à la situation ? 

Le principe est de se désengager autant que possible du Mali. Pour le reste, on reviendra sensiblement en 2023, en admettant que ce calendrier soit respecté, au volume de forces du début de l’opération Barkhane en 2014. À l’époque, c’était clairement insuffisant pour obtenir des effets sur l’ennemi. Aujourd’hui, c’est un peu différent. Pour une raison difficilement compréhensible, il a fallu attendre la fin de l’année 2019 pour que la France dispose de drones armés. Maintenant, ces drones armés éliminent plus de combattants ennemis que le Groupement tactique-Désert basé à Gao. D’une manière générale, la pression sur l’ennemi est exercée presque entièrement par le système de renseignement et de raids/frappes de l’armée de l’Air, des Forces spéciales, et du Groupement aéromobile basée à Gao. En se retirant complètement du Mali, ce système peut perdre un peu en efficacité, notamment pour la composante héliportée qui a besoin d’une base intermédiaire au Mali. Il faudra sans doute également faire avec une perte de renseignements. Dans l’ensemble cependant, même si on en donnera peut-être un peu moins, on pourra toujours donner beaucoup de coups à l’ennemi alors que l’on en recevra nous-même beaucoup moins.

Donner des coups à l’ennemi, c’est bien, mais contrôler le terrain c’est mieux. Nos forces ont toujours été trop peu nombreuses pour occuper réellement le terrain, hormis temporairement et dans des zones précises. Les forces armées locales et notamment au Mali sont de leur côté beaucoup trop faibles tactiquement pour le faire. La combinaison des deux donne en revanche de bons résultats. 

Le principe est de se désengager autant que possible du Mali. Pour le reste, on reviendra sensiblement en 2023.

Des unités locales accompagnées, ou mieux encore, fusionnées avec des petits groupes de soldats français, sont capables de vaincre n’importe quel groupe en face et de mieux protéger la population.

Cela ne résout pas les problèmes structurels de ces armées, mais cela permet de leur donner très rapidement une bien meilleure efficacité sur le terrain. C’est un peu l’objet de la Task Force Takuba, mais celle-ci, malgré l’implication d’autres pays européens, reste trop limitée en volume. Ce n’est en rien une mission spécifique de Forces spéciales, et la France pourrait par exemple s’appuyer sur les pôles opérationnels de coopération (POC) de Dakar et Libreville pour compléter Takuba et lui donner une masse critique capable de vraiment transformer la campagne. 

Enfin, ce n’est pas parce que nous retirons des forces d’un endroit que nous ne sommes pas capables d’y revenir. En 2023, en cas de problème grave nous serons toujours capables d’engager une brigade complète au combat dans la région en quelques jours comme en janvier 2013. 

En stratégie, comme dans beaucoup d’autres choses, il faut savoir où s’arrête ce qui suffit. La guerre continue parce qu’elle n’a aucune raison de s’arrêter pour l’instant, mais elle se fera de manière plus économique par rapport à nos objectifs et avec donc une plus grande capacité de durer.


 

Copyright : PATRICK HERTZOG / AFP

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