Certes, le secrétaire général de l'Organisation de la Conférence Islamique (OCI), un groupe traditionnellement dominé par les pays arabes, s'est rendu au Pakistan en mars 2020, et a rappelé que le Cachemire était une des priorités de l'organisation. Mais cette ingérence dans les affaires intérieures indiennes avait été contrebalancée par l'invitation faite à l'Inde de participer à la réunion de l'OCI à Abu Dhabi en mars 2019. Etre conviée à cette réunion, dont Sushma Swaraj (ancienne ministre des Affaires étrangères indienne) était l’invitée d’honneur, a constitué un succès diplomatique pour l’Inde qui est candidate à l'OCI depuis 1969... L’Arabie saoudite est apparue comme l’un des principaux soutiens de l’Inde au sein de l’organisation. Ce qu’a confirmé, le 9 février dernier, la réunion des responsables de l'OCI à Djeddah, où l'Arabie saoudite s’est montrée réticente à accepter la demande du Pakistan de réunir le conseil des ministres des affaires étrangères pour évoquer à nouveau la question du Cachemire.
Ce décalage entre le soutien que le Pakistan a reçu de la Turquie, de la Malaisie et même de l'Iran au sujet du Cachemire d’une part, et l'attitude très prudente de l'Arabie saoudite et des EAU d’autre part, pourrait ramener le Pakistan aux années 1960, lorsque Islamabad était proche des pays musulmans non arabes, dont la Turquie et l'Iran, avec lesquels le pays a finalement formé l'Organisation de coopération économique. Au-delà, cette situation reflète l’opposition croissante entre deux coalitions de pays musulmans : d’un côté celle soutenue par les Arabes, et de l’autre le "forum islamique mondial" parrainé par la Turquie et la Malaisie, dont le but est de créer une alternative à l'OCI dominée par les Arabes – "forum" auquel Riyad a interdit à Imran Khan (le premier ministre pakistanais) de participer lors de la récente réunion de Kuala Lumpur.
Mais jusqu’où l’Inde peut-elle compter sur la bienveillance des pays arabes ? Si le "forum" fait d’un sujet comme le Cachemire une priorité, l'OCI aura du mal à ne pas prendre une position ferme sans courir le risque d’apparaître en retrait sur un sujet encore cher au cœur du monde musulman. Au demeurant, Riyad a déjà accepté, à contrecœur, de convoquer une réunion spéciale des ministres des affaires étrangères de l'OCI consacrée au Cachemire.
Au-delà, l’OCI est récemment sortie de sa réserve vis-à-vis du sort fait aux musulmans indiens dans le contexte de la crise du Covid-19, et ce pour plusieurs raisons. Non seulement plusieurs médias indiens ont accusé des membres de cette minorité d’avoir propagé l’épidémie en ne respectant pas les règles de confinement, mais des députés du parti nationaliste au pouvoir, le BJP, ont appelé au boycott des musulmans ou ont (re)tweeté des messages de fort mauvais goût à propos des femmes arabes, voire ont établi une équation à charge entre islam et terrorisme. Le 19 avril dernier, dans ce contexte, l’OCI a condamné "l'implacable et vicieuse campagne #Islamophobe en #Inde qui blâme les musulmans pour la diffusion du #COVID-19 ainsi que leur mauvaise représentation dans les médias qui incite à la discrimination et à la violence en toute impunité". Au même moment, la princesse Hend Al Qassimi, membre de la famille royale des Émirats Arabes Unis (EAU), citant des tweets d'hindous vivant aux Émirats, dénonçait les accusations envers les musulmans de son pays.
L’avenir dira si le processus de clarification mentionné par le ministre indien des affaires étrangères, S. Jaishankar, se poursuit dans le sens d’une polarisation du monde musulman confortant le rapprochement de New Delhi avec l’Arabie saoudite et les EAU, ou si ces deux derniers pays reviennent sur cette stratégie. Si tel devait être le cas, la condition des musulmans indiens ne serait bien sûr pas le seul facteur explicatif. Le rapport à la Chine, en qui l’Inde tend à voir une menace et avec laquelle Riyad s’est déjà beaucoup rapproché, serait une autre variable à prendre en considération, par exemple.
Cet article a été initialement publié sur le site de The Indian Express et traduit avec leur aimable autorisation.
Copyright : PRAKASH SINGH / AFP
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