Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
09/10/2020

Nouer un dialogue avec Biden... comme avec Trump

Nouer un dialogue avec Biden... comme avec Trump
 Olivier-Rémy Bel
Auteur
Visiting Fellow à l'Atlantic Council
 Jeff Lightfoot
Auteur
Chercheur associé à l'Atlantic Council

La France dispose de nombreux atouts pour tisser un dialogue avec la prochaine administration américaine, quelle qu'elle soit.

Entre amis, il est parfois normal de se fâcher. Et la relation franco-américaine, qui connaît des hauts et des bas, n'y fait pas exception. Les fortes tensions du début des années 2000 ont fait place dans les années 2010 à une coopération toujours plus étroite, notamment en matière de défense, puis à une tumultueuse relation avec l'administration Trump. 

Alors que les Américains ont déjà commencé à voter, comment aborder le prochain occupant du Bureau ovale ? Que Donald Trump soit réélu ou que Joe Biden l'emporte, la France dispose de nombreux atouts pour nouer une relation de confiance avec la prochaine administration américaine. 

Commençons par le début : pourquoi chercher à entretenir la relation avec Washington ? 

Dans un environnement stratégique marqué par la multiplication des défis, allant du terrorisme à la rivalité stratégique avec la Chine, des actions de la Russie à l'instabilité du pourtour méditerranéen, les Européens - et la France - doivent être davantage mobilisés pour leur propre sécurité. Ils doivent être capables de défendre leurs intérêts chaque fois que nécessaire, y compris lorsque leurs partenaires, et notamment les États-Unis, s'abstiendraient. C'est tout le sens des efforts pour développer l'autonomie stratégique européenne. 

Pour autant, autonomie stratégique européenne ne veut pas dire rompre le lien avec Washington. Les États-Unis restent un acteur militaire de premier plan - et de très loin - et les Européens, malgré leurs importants efforts, manquent encore de certaines capacités critiques, comme le transport ou la surveillance et la reconnaissance. 

Les capacités américaines vont continuer à faire la différence dans tout scénario de défense collective.

La France a d'ailleurs su tisser une coopération bilatérale dense et fructueuse, du soutien aux opérations au Sahel aux échanges sur le spatial. Et les capacités américaines vont continuer à faire la différence dans tout scénario de défense collective.

En matière économique, le commerce transatlantique représente 1000 milliards de dollars par an et devrait jouer un rôle clef dans la relance, mais aussi dans l'affirmation de standards technologiques - si les deux principaux blocs économiques que sont l'UE et les États-Unis parviennent à s'accorder.

Et, à l'heure de la compétition dite "systémique" avec la Chine, c'est à dire entre modèles politiques et économiques, la France, les États-Unis et l'Europe sont, malgré leurs divergences, des démocraties, unies par leurs valeurs. À tous ces égards, le lien transatlantique reste indispensable.

Comment, dans ce cas, aborder le prochain occupant du Bureau ovale ? 

La France est dans une position intéressante car elle est en mesure de tisser des liens avec une administration Biden ou Trump II. Contrairement à certains, comme l'Allemagne, elle n'a pas fait l'objet d'attaques répétées du Président Trump. Toutefois, elle n'a pas non plus surinvesti l'alignement avec la Maison-Blanche, comme par exemple la Pologne, dont la situation délicate en matière d'État de droit pourrait a contrario fragiliser sa relation avec une administration Biden. Ayant d'abord investi dans sa propre autonomie stratégique, la France est capable d'aborder avec un certain détachement, et donc une certain adaptabilité, la relation avec la prochaine administration, quelle qu’elle soit.

En cas de réélection de Donald Trump, les points de friction - autonomie stratégique, climat, commerce transatlantique - devraient perdurer sans occulter les opportunités de coopération. Après tout, Emmanuel Macron fait partie des chefs d'État ayant le plus échangé avec le Président américain, sans toutefois cacher les divergences, sur le climat ou l'autonomie stratégique européenne notamment. C'est d'ailleurs le premier dirigeant à avoir été reçu pour un dîner d'État à la Maison-Blanche.

 La France est également assez conforme au modèle des alliés développé par la National Defense Strategy de l'administration Trump.

Finalement, la France est également assez conforme au modèle des alliés développé par la National Defense Strategy de l'administration Trump (voir en particulier ce que dit l'un des principaux architectes de cette stratégie, Elbrige Colby, au sujet des alliances) : elle investit dans son outil de défense, prend sa part du fardeau dans la stabilisation de son environnement,développe des capacités pour agir dans les "nouveaux espaces de conflictualité" (espace, cyber notamment) et marque sa présence en Indopacifique. Voilà autant de points de coopération potentielle.

Une administration démocrate ouvrirait de nouvelles perspectives. Ayant fait du retour dans l'accord de Paris une promesse phare de campagne, Joe Biden propose une vision du multilatéralisme assez en phase avec celle de Paris, dans laquelle l'Union européenne a pleinement sa place. Les think tankers proches de sa campagne ont tracé des visions engageantes du rôle des alliés et mis en avant leur attachement à l'Europe. Sur la Méditerranée orientale, la campagne Biden s'est également exprimée clairement pour condamner les provocations turques. C'est autant de convergences sur lesquelles Paris peut capitaliser. Un dialogue positif peut être noué autour de la refonte de l'ordre international, la lutte contre le changement climatique ou les conséquences géopolitiques de la montée en puissance de la Chine.

Pour autant, l'élection Biden ne voudrait pas dire un retour à un ordre antérieur, un "business as usual" largement fantasmé. L'attention de son administration devrait être absorbée par des enjeux de politique intérieure, de la lutte contre le Covid-19 à la relance économique et aux questions raciales. Les États-Unis devraient se montrer moins enclins à mobiliser leur outil militaire, comme cela avait été le cas sous la présidence Obama, dont la réticence à intervenir en Syrie en 2013 avait été source de tensions avec Paris. À ce titre, les débats des primaires démocrates sont instructifs : tous les candidats, Joe Biden au premier chef, se sont efforcés de se présenter comme le moins interventionniste possible. La bascule des intérêts américains vers l'Asie devrait se poursuivre et l'attention de Washington devrait continuer à être d'abord tournée vers la Chine, à mesure que s'installe une vision adversariale de la relation. Pour toutes ces raisons, la mobilisation des Européens que promeut Paris continuera de rester indispensable aux côtés d'un engagement transatlantique fort. 

 

Copyright : PETER NICHOLLS / AFP / POOL

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne