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20/02/2023

À Munich, des Occidentaux résolus mais sans plan de bataille

À Munich, des Occidentaux résolus mais sans plan de bataille
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Les rencontres de la Conférence sur la sécurité de Munich – sorte de grand-messe du monde transatlantique - se succèdent d’année en année. L’Ukraine y a longtemps été traitée comme un sujet parmi d’autres, à vrai dire relativement mineur tant le conflit paraissait "gelé".

L’année dernière au contraire, sous la menace d’une invasion russe, elle était au centre de l’attention : on se souvient que le président Zelenski, en costume de ville, était venu faire part de son angoisse, et lancer un appel à l’aide. Américains et Britanniques étaient également convaincus de l’imminence d’une attaque russe mais beaucoup de responsables européens – allemands et français en particulier - affichaient leur scepticisme.

Cette année, c’est par vidéo et dans sa tenue kaki maintenant célèbre, que Volodymyr Zelensky a inauguré la conférence. Le président ukrainien a insisté sur un message : la "rapidité" - c’est en effet d’urgence qu’il a besoin d’armes venant de l’Ouest pour que son pays puisse résister à la prochaine offensive russe.

Emmanuel Macron a-t-il changé ?

La réponse de la France et de l’Allemagne était particulièrement attendue. Le Chancelier Scholz a paru souvent à la traîne des autres alliés ces derniers mois, hésitant dans sa démarche et lent à décider. Depuis sa décision de livrer des chars Leopard 2 – et après avoir considérablement élevé le volume de l’aide militaire et civile de l’Allemagne à l’Ukraine - il fait meilleure figure. À Munich, il a incité les autres pays qui détiennent des Leopard à suivre l’exemple allemand. Toutefois, le souci de la prudence est rapidement revenu dans les propos de M. Scholz - qui a mis en garde de plusieurs manières contre le risque d’escalade pouvant conduire à un conflit direct entre l’OTAN et la Russie.

Le discours d’Emmanuel Macron devant la conférence a surpris par sa fermeté. Comme il l’avait fait en recevant M. Zelensky à Paris quelques jours plus tôt, le président a rappelé que l’objectif était la victoire de l’Ukraine. Il a redit que la "Russie ne peut ni ne doit l’emporter". Il a aussi précisé que “l’heure n’était pas au dialogue”. Son principal message a porté sur la volonté collective des Occidentaux de tenir dans la durée l’effort d’armement de l’Ukraine. Dans le même temps, le président a rappelé la nécessité pour les Européens de se réarmer pour construire un pilier européen fort dans l’OTAN. Il a proposé à cet effet une conférence sur la défense anti-aérienne à Paris – ce qui est aussi une pierre dans le jardin du Chancelier Scholz, promoteur de son côté d’un projet de défense aérienne européenne sans la France.

Par sa fermeté sur la nécessité d’une "victoire" de l’Ukraine, M. Macron a donc paru confirmer ce que V. Zelenski avait dit dans son interview au Figaro du 8 février : "Emmanuel Macron a changé, pour de vrai". Cette impression s’est toutefois estompée lorsque l’on a pris connaissance des propos tenus par le Président devant trois journalistes dans son avion de retour de Munich (Le Figaro, le JDD, France Inter) – peut-être à destination du public national. Le "Macron classique" - si l’on peut dire – est réapparu à cette occasion car le président souligne que si la France désire la “défaite” de Moscou - le mot que l’on attendait de lui - elle ne souhaite pas "écraser la Russie".

Le "Macron classique" est réapparu à cette occasion car le président souligne que si la France désire la “défaite” de Moscou - le mot que l’on attendait de lui - elle ne souhaite pas "écraser la Russie".

Il critique sur ce point les pays de l’Est qu’il soupçonne d’un tel dessein. Il croit à une solution négociée et rappelle son analyse selon laquelle l’expansionnisme de l’OTAN a une part de responsabilité dans l’agressivité russe. Il s’aventure en outre à des spéculations sur l’avenir de M. Poutine, auquel il ne voit pas de successeur qui ne serait pas pire. En bref, Emmanuel Macron a certainement adapté sa posture à la réalité de l’agression russe, il s’engage très nettement dans le soutien à l’Ukraine, il ne modifie pas pour autant sa vision d’ensemble sur la place à trouver un jour à la Russie dans la construction de l’Europe – ce qui ne manquera pas d’entretenir la méfiance d’une partie de l’Europe à l’égard des propositions françaises.

L’Occident, le Sud global et la question chinoise

Il serait erroné de dire que Munich 2023 n’a pas illustré une réelle unité de la communauté transatlantique. Comme on vient de le voir avec les déclarations du chancelier allemand et du président français, des différences de sensibilité importantes demeurent entre Européens de l’Ouest et de l’Est. Cependant, sur la ligne d’un soutien, et d’un soutien jusqu’au bout, à  l’Ukraine, il y a bien convergence de vue, d’abord entre Européens, puis entre Européens et Américains. Comme d’habitude, la délégation américaine était massive et bipartisane. Assez curieusement, la vice-présidente Kamala Harris a orienté son intervention principalement sur la dénonciation des crimes de guerre et contre l’humanité des soldats et des dirigeants russes. Sans doute faut-il y voir une tentative de délégitimer le président Poutine et ses associés, mais aux conséquences limitées puisque les États-Unis ne sont pas parties à la Cour Pénale Internationale. En fait, ni la vice-présidente ni d’autres dirigeants-clefs n’ont repris l’idée de création d’un tribunal pour crime d’agression, qui seul permettrait de mettre en cause judiciairement la responsabilité des principaux dirigeants russes.

Sur un plan plus général, ce qui frappe le plus, c’est l’absence de la part de Mme Harris comme des principaux dirigeants européens d’un plan précis pour mettre en œuvre ce qu’ils souhaitent, c’est-à-dire un approvisionnement en armes de l’Ukraine des munitions et des armes sur la durée, sans lequel il n’y aura pas de "victoire" des Ukrainiens. Or c’est là la véritable pierre de touche de la réalité du soutien aux Ukrainiens. Chacun sait qu’à ce stade, les lignes de production aux États-Unis et a fortiori en Europe ont atteint leurs limites.

Aucun dirigeant européen n’a remis en cause l’idée de ne pas s’en prendre au territoire russe – comme s’il allait de soi que celui-ci dut être "sanctuarisé".

De même, la conférence a peu abordé ce qui paraissait devoir être le débat central, à savoir la nature des armes à transférer à Kiev : faut-il transférer des avions de combat ou non ? Comment empêcher les Russes de viser la domination de l’espace ukrainien ? Quels systèmes pour protéger les villes et les infrastructures des frappes en profondeur russes ? Aucun dirigeant européen n’a remis en cause l’idée de ne pas s’en prendre au territoire russe – comme s’il allait de soi que celui-ci dut être "sanctuarisé" alors que les Russes ont toute licence de détruire des quartiers d’habitation ou des infrastructures en Ukraine.

Autrement dit, unité de vue transatlantique en soutien à l’Ukraine, oui ; mais stratégie claire pour mettre en œuvre celle-ci, non. Peut-être reviendra-t-il au président Biden d’articuler une telle stratégie dans le discours qu’il doit prononcer à Varsovie lors de sa visite du 20 au 22 février. À noter cependant que le Premier ministre britannique, M. Sunak, espère sans doute infléchir les politiques des autres alliés en annonçant un transfert à l’Ukraine de missiles à longue portée, capables donc de frapper en profondeur sur les arrières russes (et en Crimée).

Dernier élément marquant de cette édition de la Conférence de Munich: l’irruption dans le monde transatlantique de la préoccupation du rôle des pays du Sud. Les organisateurs avaient d’ailleurs publié sur ce sujet un rapport dont les conclusions recoupent largement les analyses de notre livre collectif copublié par l’Institut Montaigne et les éditions de l’Observatoire : Guerre en Ukraine et Nouvel Ordre du Monde.  Toutefois la vraie sensation est venue à Munich de la présence de l’homme-clef de la politique étrangère chinoise, Wang Yi (directeur du bureau central des affaires étrangères du parti communiste chinois).

De son intervention, beaucoup d’observateurs ont retenu la mise en garde – en pratique destinée à Moscou bien sûr - contre tout recours à l’arme nucléaire. De même, la menace explicite sur Taiwan a frappé les esprits. Wang Yi a aussi fait part d’une intention de son pays de proposer un "plan de paix" pour le conflit ukrainien - ce qui pourrait être indicateur d’une volonté chinoise de jouer un rôle plus actif pour hâter la fin du conflit.

En même temps, à l’issue de l’entretien qu’il a eu avec l’émissaire chinois en marge de la conférence, le Secrétaire d’État américain, M. Blinken, a révélé que les États-Unis disposaient d’indications laissant penser que la Chine s’apprêtait à transférer des armes à la Russie, ce dont elle s’était abstenue jusqu’ici. Si Pékin passait aux actes, il est à craindre que le conflit change de nature et de dimension : d’une part, la puissance russe ébréchée pourrait se redresser, d’autre part, les États-Unis ne manqueraient pas d’appliquer des sanctions secondaires à la Chine, avec le risque d’un engrenage des tensions entre les deux pays et au-delà.

M. Blinken a révélé que les États-Unis disposaient d’indications laissant penser que la Chine s’apprêtait à transférer des armes à la Russie, ce dont elle s’était abstenue jusqu’ici.

L’heure de tous les dangers

Cette seule perspective montre la gravité de l’heure, un an après l’agression russe. Les Occidentaux se trouvent un peu dans la situation qu’évoquait Raymond Aron en 1951 en conclusion de son livre Les Guerres en chaîne (Gallimard). Citons une phrase de cet ouvrage qui nous paraît d’actualité : "Le but de l’Occident est et doit être de gagner la guerre limitée pour n’avoir pas à livrer la guerre totale". Comment faire ? Emmanuel Macron livre une piste lorsque, dans son avion de retour de Munich, il dit à ses interlocuteurs : "Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est que l’Ukraine mène une offensive militaire qui perturbe le front russe afin de déclencher le retour aux négociations".

Il nous semble cependant qu’une "perturbation du front russe" ne suffirait pas. Il faut une percée ukrainienne telle que les positions russes en Crimée apparaissent sérieusement  menacées. Alors en effet Vladimir Poutine serait-il peut-être obligé de négocier. Une telle stratégie impliquerait un effort de transfert d’armes beaucoup plus fort qu’aujourd’hui, au moins en rapidité et en qualité du matériel livré. Complétons la citation d’Aron évoquant la guerre limitée que l’Occident doit mener : "Il ne parviendra pas à la gagner s’il n’est pas animé d’une résolution inflexible, s’il ne croit pas en lui-même et en sa mission de liberté".

 

Copyright Image : Odd ANDERSEN / AFP

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