Cet article vient conclure le partenariat engagé entre l’Alliance Program de Columbia, le Columbia Global Center de Paris et l’Institut Montaigne autour des élections de mi-mandat aux États-Unis. Après une série de trois webinars et analyses sur l’économie, les relations transatlantiques et le climat, nous dressons un premier état des lieux des résultats du scrutin et de leurs incidences, aux États-Unis et au-delà, avec Dominique Moïsi, conseiller spécial Géopolitique de l’Institut Montaigne et Robert Shapiro, professeur de sciences politiques à l’université de Columbia.
Cet article a été rédigé avec l'aide d'Amy Greene.
Les hypothèses allaient bon train à l'approche des élections de mi-mandat de 2022. Ressembleraient-elles aux midterms de 2010, à l’issue desquelles le parti démocrate d'Obama avait subi un revers et perdu plus de 60 sièges au Congrès, ou plutôt à celles de 2018, un désaveu majeur pour Donald Trump à la suite d’une participation massive des électeurs (donnant ainsi le contrôle du Sénat et de la Chambre aux Démocrates) ? Les élections de mi-mandat de cette année ne ressemblent finalement ni à l’une ni à l’autre : le parti de Joe Biden conserve le Sénat et perd la Chambre de très peu, les Démocrates réalisant sous sa présidence leur meilleure performance aux élections de mi-mandat depuis plus d'une génération. Si ces élections ont bien démontré une chose, c'est peut-être le rejet par les électeurs d'un projet républicain décevant.
Peut-être plus important encore, la principale interrogation était de savoir comment la démocratie américaine allait surmonter ce qui s'annonçait comme une nouvelle mise à l’épreuve. Les électeurs accepteraient-ils les nombreux candidats républicains s’étant fait les porte-voix du "Big Lie", (le grand mensonge, selon lequel l’élection de 2020 aurait été volée) ? En fin de compte, les craintes généralisées de suppression des électeurs, d'intimidation ou de fraude le jour du scrutin ne semblent pas s'être matérialisées, pas plus que les craintes d’un refus des Républicains de céder face à la défaite. Les élections se sont révélées libres et équitables, ce qui n'était pas gagné d'avance. La première leçon, peut-être la plus importante, à tirer de ces élections de mi-mandat est que le 8 novembre 2022 fut un bon jour pour l'intégrité de la démocratie américaine.
Anatomie du vote
La "vague rouge" redoutée n'a pas eu lieu. Bien que les Démocrates aient perdu un peu de terrain parmi les blocs d’électeurs leur étant habituellement fidèles, tels que les communautés Latinos, asiatiques et - dans certains scrutins - les hommes noirs, ils ont été soutenus par les électeurs âgés de 18 à 28 ans, la génération Z, qui ont penché de 28 points de pourcentage en faveur des démocrates. L'écart entre les sexes penche également en faveur des Démocrates, les femmes - en particulier les femmes de couleur - votant pour les Démocrates avec un écart d'environ 8 points. Néanmoins, la majorité des femmes blanches ont voté Républicain, conformément aux tendances récentes. Les Républicains ont également continué à progresser auprès des électeurs blancs de la classe ouvrière et des électeurs sans diplôme universitaire. Les hommes blancs sans diplôme universitaire ont continué à voter massivement pour les Républicains.
Dans les mois précédant l'élection, l'inscription des électeurs républicains avait grimpé en flèche - jusqu'à ce que la Cour suprême ne rende l'arrêt Dobbs en juin 2022, annulant l’arrêt Roe v. Wade et renvoyant aux États la décision d'autoriser l'avortement. C’est à ce moment-là que la mobilisation des électeurs démocrates a augmenté, de même que celle des jeunes. Malgré certaines critiques lui reprochant de se concentrer trop peu sur les préoccupations quotidiennes des Américains, Biden a imploré son camp, et ce jusqu'au jour de l'élection, de participer massivement aux élections. Il a insisté sur la menace existentielle qui pesait sur la démocratie américaine et sur la trahison pour les femmes américaines qu’est le recul drastique en matière d'avortement de la Cour suprême dirigée par les conservateurs. Peut-être le calcul de Biden était-il le bon.
De nouvelles contraintes pour les deux partis
Les Démocrates conservent le contrôle du Sénat, ce qui constitue une garantie importante permettant à Biden de procéder à des nominations politiques et judiciaires, ainsi qu’un point d'appui essentiel pour mettre en œuvre le programme législatif et les décisions politiques du président. Le soutien américain à l'Ukraine est un domaine qui pourrait notamment en bénéficier. Sans nécessairement entraîner une augmentation de la contribution américaine à l'effort de guerre (tout semble indiquer que la pression sera plutôt maintenue sur les Européens pour qu'ils assument une plus grande part de la charge), les résultats des midterms pourraient contribuer à stabiliser le soutien de Washington dans un contexte où le niveau de dépenses actuel est ouvertement remis en cause par les Républicains.
Les Républicains ayant obtenu une courte majorité à la Chambre des représentants, les possibilités politiques de Biden sont désormais limitées. Pour faire avancer les choses, le président devra obtenir un soutien bipartisan, sans compter qu’il risque de se heurter à une opposition intransigeante.
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