Le 17 octobre dernier, le gouvernement libanais a proposé la création d’une taxe sur les appels Whatsapp, ainsi que d'autres mesures d'austérité, suscitant des manifestations qui ont paralysé le pays. Deux semaines plus tard, les banques et les écoles sont fermées, tandis que les manifestants ont bloqué les routes principales à travers le pays. Il s’agit des manifestations les plus importantes depuis mars 2005, qui sont, pour la première fois au Liban, de nature non-sectaire. Quels sont donc les principaux facteurs à l'origine de ces manifestations ? Ce mouvement marque-t-il la fin du "modèle libanais" ? Rym Momtaz, correspondante en France pour Politico, nous livre son analyse.
Quels sont les principaux facteurs à l'origine des manifestations qui secouent actuellement le Liban ?
Pendant les quelques semaines qui ont précédé ces manifestations, la détérioration de la situation socio-économique, qui avait lieu à petit feu, s’est accélérée. Les agences de notation ont récemment dégradé les bons du Trésor libanais, et quelques semaines avant les manifestations, la livre libanaise – qui est indexée au dollar depuis la fin de la guerre civile – se vendait moins cher sur le marché noir, alors que les dollars se faisaient de plus en plus rares sur le marché. Un incendie dans une forêt dans les collines hors de Beyrouth a aussi remis sous les projecteurs l’incompétence et la corruption de la classe politique lorsqu’il s’est avéré que les hélicoptères capables d’éteindre le feu n’avaient pas été entretenus. Il a fallu attendre l’aide des pays voisins alors qu’une partie du Liban était littéralement en feu. La création d’une taxe sur l’application de messages WhatsApp - un des moyens de communication incontournables à travers la société libanaise - fut la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Mais il faut aussi lire cette mobilisation sur le temps long. Plusieurs mobilisations précédentes par la société civile ont préparé le terrain pour en arriver à cette ampleur de manifestations. Il y a eu la mobilisation pour dénoncer la crise des ordures. Jamais, depuis la guerre, l’odeur des ordures, qui pourrissent dans la rue pendant plusieurs jours, n’a autant dominé Beyrouth. Il y aussi eu la liste de la société civile, Beyrouth Madinati, lors des élections municipales et plusieurs candidatures de personnalités indépendantes lors des élections législatives. Le tout a créé une communauté d’idées, et un nouveau courant, même s’il reste naissant.
Ce mouvement, qui dépasse les lignes confessionnelles, signe-t-il la fin du "modèle libanais", comme l'affirment certains analystes ?
Il est important de commencer par marquer le changement radical qui a pris forme dans ces manifestations : pour la première fois dans l’histoire moderne du Liban, les Libanais manifestent de façon non-sectaire, se revendiquant libanais seulement, sans aucune référence à leur communauté, religion, etc. C’est du jamais vu. Même dans les manifestations de 2005, ce n’était pas le cas. En 2005, il est vrai que musulmans et chrétiens ont manifesté côte à côte, mais ils s'identifiaient toujours par leur appartenance communautaire. Les manifestations se sont surtout faites sous la bannière de partis politiques, au nom de l'intérêt national libanais, contre la Syrie qui occupait alors le pays.
Aujourd’hui, les partis et leurs drapeaux n’existent pas dans les manifestations, seul le drapeau libanais est brandi, et les manifestants sont contre le système tout entier. Le slogan emblématique de ces manifestations est "killon ya3ne killon" ce qui veut dire "tous, c’est-à-dire tous" - tous les politiciens, sans aucune exception, sont visés.
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