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17/04/2018

"M. Macron en Amérique", le chef de l’opposition légitimiste à la Maison-Blanche

 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Emmanuel Macron se rend à Washington du 23 au 25 avril pour ce qui sera la "première visite d’Etat" d’un dirigeant étranger depuis l’arrivée de M. Trump à la Maison-Blanche. Le président français jouit dans la capitale américaine d’une véritable aura : il est perçu comme celui qui a su donner un coup d’arrêt en France à la montée du populisme et qui, une fois installé à l’Elysée, a engagé des réformes auxquelles notre pays demeurait le seul en Europe à s’être dérobé.

Emmanuel Macron a en outre à Washington la réputation d’être "l’homme d’Etat étranger qui murmure à l’oreille du président Trump". Les deux hommes affichent une grande confiance mutuelle. On imagine pourtant difficilement une paire d’amis en apparence aussi peu faits l’un pour l’autre. Une poignée de main un peu prolongée à Bruxelles a-t-elle suffi à les rapprocher ? Ou M. Trump s’est-il laissé éblouir par une soirée au restaurant de la Tour Eiffel suivie du spectacle du défilé du 14 Juillet ?

"Le paradoxe est que, de ces deux hommes d’Etat, c’est le Français qui souhaite un plus fort engagement des Etats-Unis dans les affaires du monde."

On soupçonne que les choses sont un peu plus compliquées. Le magnat de l’immobilier new-yorkais et le jeune technocrate français n’ont ni la même culture – n’insistons pas là-dessus -  ni la même philosophie politique. Le premier s’inscrit, à sa manière certes un peu erratique, dans la tradition isolationniste américaine. Il voit le monde comme si les échanges économiques internationaux constituaient un jeu à somme nulle. Il déteste l’Union européenne et regarde volontiers vers le passé. Le second se veut internationaliste, fervent partisan de l’Union européenne, et cherche à positionner la France sur les enjeux qui conditionnent l’avenir comme le numérique ou le changement climatique. Le paradoxe est que, de ces deux hommes d’Etat, c’est le Français qui souhaite un plus fort engagement des Etats-Unis dans les affaires du monde.

Toutefois, tous deux sont de grands réalistes. Et tous deux, surtout, partagent un fort sentiment national. C’est peut-être là que se situe leur véritable lien : l’un et l’autre ont pour ambition d’amener leurs pays respectifs à retrouver leur "grandeur". L’épisode du défilé du 14 Juillet sur les Champs Elysées pourrait avoir à cet égard une signification plus profonde que ce que l’on avait compris sur le moment : M. Trump semble avoir été sensible à ce rite républicain qui a précisément pour fonction de rappeler aux Français qu’ils ont vocation à incarner la "grande nation". 

"Etrange situation : M. Macron sera reçu à la Maison-Blanche comme une sorte de leader de l’opposition légitimiste face à un "chef du monde libre" dans une large mesure dissident par rapport à la doxa occidentale"

Il va de soi aussi que le président français, en ancien banquier d’affaires habitué à traiter les clients importants, même s’ils sont difficiles, a joué la carte de la séduction. M. Trump a suffisamment de sagacité pour avoir compris que le jeune Français attirait la lumière et qu’il avait donc intérêt à s’en faire un ami. M. Macron a fait de son côté le pari qu’il pouvait s’opposer au président américain en gardant avec lui des relations de proximité - donc une capacité d’influence. Sur l’affaire la plus emblématique, le retrait américain de l’Accord de Paris sur le climat, le président de la République a marqué sans ambiguïté son désaccord avec la Maison-Blanche mais sans rompre le dialogue avec M. Trump.

Ainsi, le président jacksonien qu’est M. Trump porte un programme de nationalisme économique qui l’amène à se détourner de l’ordre libéral international. Le jeune président gaullien installé à l’Elysée, parce qu’il croit à la globalisation et parce que les autres dirigeants européens sont moins en mesure actuellement d’endosser ce rôle, apparait comme le principal défenseur de cet ordre libéral international. Etrange situation : M. Macron sera reçu à la Maison-Blanche comme une sorte de leader de l’opposition légitimiste face à un "chef du monde libre" dans une large mesure dissident par rapport à la doxa occidentale.

"Les deux présidents peuvent-ils aller plus loin et, sur les sujets qui les opposent, trouver un terrain d’entente fondé sur une sorte de partage des rôles ?"

Quels résultats peut-on attendre de cette rencontre ? Il est prudent de ne pas anticiper de grandes percées, et cela pour deux raisons spécifiques.

En premier lieu, le président français n’a pas jusqu’ici réussi à transformer sa relation de proximité avec Donald Trump en une capacité à faire dévier le président américain de sa trajectoire. Cela ne veut pas dire que M. Macron est sans influence sur Donald Trump : récemment, sur l’affaire Skripal ou dans la mise en œuvre des droits de douanes sur l’aluminium, il semble que le président français a été en mesure d’infléchir les choix de M. Trump. Plus même, le président lui-même a indiqué que le plan de frappe de l’action militaire des trois Occidentaux en Syrie le 14 avril a résulté d’une interaction entre Paris, Londres et Washington. Force est de reconnaître cependant que le sommet de la relation entre les deux hommes, si l’on met de côté les aspects personnels, avait plutôt été jusqu’à présent– et là encore la question du climat est emblématique - de s’accorder pour ne pas être d’accord. Peut-il en aller différemment lors de la visite d’Etat à Washington ? Les deux présidents peuvent-ils aller plus loin et, sur les sujets qui les opposent, trouver un terrain d’entente fondé sur une sorte de partage des rôles ?

Le dossier qui pourrait se prêter à un arrangement de ce type devrait être a priori le sort du JCPOA (accord nucléaire avec l’Iran). Il est maintenant vraisemblable que les Etats-Unis se retireront d’une manière ou d’une autre de l’accord début mai. L’enjeu d’une négociation Macron-Trump sur ce point serait que Washington laisse les Européens et les autres signataires de l’accord poursuivre la mise en œuvre de celui-ci sans les Américains. Cela suppose qu’un certain niveau de liens économiques avec l’Iran soit immunisé contre le retour de sanctions américaines. Le président français aurait de bons arguments à faire valoir : si l’accord est maintenu malgré le départ des Américains, Washington obtient la possibilité d’accroître les pressions contre l’Iran mais il y a une chance que Téhéran reste dans l’accord et donc continue à respecter les contraintes pesant sur son programme nucléaire.

"M. Macron tentera d’obtenir un réengagement plus durable de l’administration américaine en Syrie et se fera le promoteur d’une feuille de route politique qu’il entend bien pousser aussi du côté de M. Poutine."

La contrepartie du côté européen serait de s’engager à travailler à une révision à moyen terme du JCPOA dans le sens des demandes américaines : en revanche, si l’accord est démantelé à la suite du retrait américain, toute perspective d’obtenir un meilleur accord est repoussée aux calendes grecques.

On tombe là toutefois sur l’autre raison de rester prudent dans les attentes à l’égard de la visite de M. Macron. Celle-ci intervient à un moment que l’on pourrait qualifier de "radicalisation" de la politique étrangère de M. Trump, liée ou non aux difficultés grandissantes auxquelles se heurte le président sur le plan intérieur. En quelques semaines, M. Trump a remplacé son Secrétaire d’Etat, M. Tillerson, et son conseiller national de sécurité, le général McMaster, par des hommes plus proches de ses convictions intimes, MM. Pompeo et Bolton. Le clan des "adultes" dans son entourage s’est réduit comme une peau de chagrin. Sur la Corée du Nord, sur la guerre commerciale avec la Chine, sur le maintien de forces américaines en Syrie, il a pris une série de décisions ou procédé à des annonces qui clairement reflètent sa volonté d’appliquer ce qu’il pense vraiment – et non ce que la prudence des professionnels recommande

Il y a tout lieu de penser qu’il en ira de même s’agissant de l’accord nucléaire avec l’Iran. Dans cette perspective, le mieux que pourrait obtenir M. Macron serait de nouveaux délais ou une période de grâce pour la mise en œuvre des sanctions, mais pas un compromis de fond sur l’avenir à moyen terme du JCPOA.

Evitons là aussi de nous monter trop catégoriques. La scène internationale de nos jours change de configuration à un rythme imprévisible : les frappes qui viennent d’intervenir en Syrie pour dissuader le régime syrien de recourir à nouveau à l’arme chimique ont rapproché les trois grandes capitales occidentales – et sans doute donné à M. Trump et M. Macron l’occasion d’éprouver la solidité de leur relation personnelle. M. Macron tentera d’obtenir un réengagement plus durable de l’administration américaine en Syrie et se fera le promoteur d’une feuille de route politique qu’il entend bien pousser aussi du côté de M. Poutine. Il n’est pas jusqu’au dossier commercial - sans doute capital dans l’esprit de M. Trump – qui ne puisse laisser entrevoir un compromis possible entre le président américain et M. Macron, compte-tenu de la grande fermeté dont a toujours fait preuve le président français sur les pratiques chinoises.

Au total, il n’est pas inimaginable qu’une atmosphère propice à l’entente et un effet d’entraînement d’un sujet à l’autre permettent à M. Macron, lors de sa visite d’Etat à Washington, de commencer à toucher les dividendes de son pari sur M. Trump. A défaut, il lui restera à faire devant le Congrès un discours magistral permettant d’ancrer dans l’imaginaire de la classe politique américaine l’image du plus vieil allié de l’Amérique redevenu un pays fiable, dynamique  et ambitieux.

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