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16/10/2017

Lutte contre les déserts médicaux : trois questions sur le plan d'Agnès Buzyn

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Lutte contre les déserts médicaux : trois questions sur le plan d'Agnès Buzyn
 Angèle Malâtre-Lansac
Auteur
Ancienne directrice déléguée à la Santé

La ministre de la Santé Agnès Buzyn et le Premier ministre Edouard Philippe viennent de dévoiler leur plan de lutte contre les déserts médicaux. Décryptage par Angèle Malâtre-Lansac, notre Directrice déléguée à la Santé. 


Comment expliquez-vous la montée des déserts médicaux ? 

Les déserts médicaux sont fortement ressentis par les Français. Si le nombre de médecins reste stable, les disparités territoriales sont fortes et le nombre de médecins généralistes libéraux ne cesse de baisser. Pourtant, il faut nuancer ce ressenti : en réalité, 98 % de la population française réside à moins de dix minutes en voiture d’un médecin généraliste et à 45 minutes d’un grand centre hospitalier. Seul 0,1% de la population doit faire plus de 20 minutes de voiture pour voir un médecin généraliste. 


Plus qu’un accès géographique aux soins, le véritable enjeu réside plutôt dans les délais d’attente des patients pour obtenir un rendez-vous, notamment chez les spécialistes. En moyenne, le temps d’attente pour un rendez-vous chez un généraliste a doublé par rapport à 2012 et est passé de 48 à 61 jours pour un spécialiste. De plus, de fortes inégalités entres les territoires demeurent : si en région PACA le ratio de médecins est de 3,5 pour 1000 il est de 2,3 pour la région Centre. Les zones rurales ne sont pas les seules concernées : les centres des grandes villes qui possèdent un coût d’installation particulièrement élevé pour un jeune médecin connaissent également une désertification massive. 


Plusieurs facteurs permettent d’expliquer ce phénomène que rencontre l’ensemble des pays développés. D’un côté, il y a une hausse continue de la demande de soins, liée au vieillissement de la population et à la chronicisation des maladies. De l’autre, l’offre médicale évolue. Un grand nombre de médecins généralistes libéraux partent à la retraite sans être remplacés et les jeunes médecins ont des modes d’exercice très différents de leurs aînés : ils souhaitent exercer en groupe, mieux concilier vie privée et vie professionnelle en travaillant moins, privilégient le salariat… 

Les solutions proposées par la ministre vous semblent elles suffisantes ?  

Le plan de lutte contre les déserts médicaux, présenté par le Premier Ministre et la Ministre de la Santé, se centre autour de deux volets : d’une part des mesures déjà testées et finalement peu évaluées pour garder et attirer les médecins (aides à l’installation dans les zones sous dotées, simplification de l’exercice mixte salariat-libéral, activité des médecins retraités, etc.) ; d’autre part, des mesures concernant le développement du numérique sur lequel la France a beaucoup à faire. 


La télémédecine est évidemment un outil essentiel : elle permet, par la consultation à distance d’un professionnel de santé, de réduire le temps et le coût de déplacement pour le patient et d’assurer un accès équitable et permanent à un professionnel de santé. Le gouvernement vient de donner un signal fort en faveur de la télémédecine en inscrivant le remboursement des actes dans le PLFSS 2018. Sortir enfin la télémédecine du cadre de l’expérimentation devrait permettre de lever de nombreux freins à son déploiement. On peut par contre regretter que seuls 50 millions d’euros sur les 5 milliards dédiés à la santé dans le grand plan d’investissement soient fléchés sur cet outil qui nécessite des investissements coûteux.  


La ministre confirme également son souhait de doubler le nombre de maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) d’ici 2022. Ces maisons de santé rendent le métier de médecin généraliste plus attractif pour la jeune génération en offrant des conditions d’exercice plus adaptées à leurs souhaits. De quelques 1 000 MSP aujourd’hui, on devrait passer à plus de 2 000 en 5 ans.  Les MSP sont bien entendu un outil intéressant mais à ce jour aucun outil d’évaluation de leur pertinence ou des différents modèles existant n’existe, c’est regrettable car certaines MSP fonctionnent bien alors que d’autres n’arrivent pas à attirer des professionnels. De plus, encore une fois la médecine de ville, pourtant si nécessaire pour lutter contre les déserts médicaux, ne fait pas l’objet d’investissements massifs : le grand plan d’investissement n’y consacre que 400 millions d’euros alors que plus de 3 milliards et demi sont consacrés à l’hôpital. La lutte contre les déserts médicaux ne pourra pourtant être efficace qu’à la condition que notre système de santé se restructure clairement autour de la médecine de ville et investisse massivement dans la structuration d’une offre de premier recours dense et modernisée

D’autres pays sont-ils confrontés à cette question et ont-ils d’autres solutions ? 

Tout d’abord, il faut rappeler que les déserts médicaux sont loin d’être une spécificité française. Tous les pays développés sont confrontés à l’inégale répartition des professionnels de santé sur leur territoire. Des pays très grands et dans lesquels de large partie du territoire sont peu occupées, comme le Canada ou l’Australie, connaissent la problématique depuis bien plus longtemps que nous. Ils se sont d’ailleurs équipés bien avant nous d’outils de télémédecine très avancés. 


Des solutions qui ont fait leurs prévues à l’étranger pourraient être importées en France. 


Ainsi, peu développée dans le discours de la ministre, la question du transfert de tâches entre professionnels de santé constitue pourtant un enjeu crucial. En effet, de nombreuses tâches peuvent être pratiquées par des infirmiers et autres auxiliaires médicaux (éducation thérapeutique, éducation nutritionnelle, renouvellement de certaines prescriptions, vaccinations, etc.). Les médecins gagneraient en temps disponible et les autres professionnels de santé monteraient en compétence. Aux Etats-Unis, il existe par exemple trois niveaux de compétences pour les infirmières et les plus qualifiées sont désormais en charge de tâches généralement réservées aux médecins. Cette collaboration interprofessionnelle implique de revoir la formation des professionnels de santé, notre cadre règlementaire et statutaire ainsi que le modèle de rémunération des actes. 


Une autre mesure innovante concerne le recrutement ciblé des étudiants en médecine. En Australie et au Canada, des étudiants en médecine de zones rurales sont sélectionnés afin d’augmenter le taux de retour dans ces territoires une fois la formation terminée. Des études de l’Organisation mondiale de la santé montrent l’efficacité de ces recrutements. La diversification des profils des futurs médecins, généralement originaires des grands centres urbains, permettrait une redistribution de l’offre vers de nouvelles zones géographiques.   
 

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