Notons d'ailleurs que cet accord donnait des "assurances" de sécurité, mais non des garanties. On voit bien aujourd'hui que l'invasion totale de l'Ukraine ne conduit pas à une implication directe des Européens et même des Américains dans le conflit.
Disons-le, tout n'était pas parfait ni stratégique dans la politique américaine vis-à-vis de la Russie et de l'Ukraine. La déclaration de Bucarest (2008) du Conseil de l'Otan s'engageant (mais sans date) sur l'adhésion de la Géorgie et de l'Ukraine à l'Organisation, en reconnaissant leurs "aspirations euro-atlantiques" était d'autant plus une erreur qu'il n'y avait pas de soutien unanime pour cette entrée. L'Allemagne comme la France s'y opposaient. On pourrait rapprocher cette bourde des promesses inconsidérées à la Turquie d'une entrée dans l'Union européenne. Notons que cette même résolution de Bucarest ne contenait pas moins de sept mentions et ouvertures favorables à la coopération avec la Russie…
Grand gagnant de la guerre froide, le leadership américain comporte sa part d'intérêts nationaux, de l'industrie d'armements au digital et à la finance. L'étendue de leurs ambitions a fait l'objet, on le voit bien, de nombreux débats internes aux États-Unis. L'autre versant de ces débats, c’est la tentation de mettre les Européens seuls face à leurs responsabilités et au coût réel, financier mais aussi politique, de leur défense. Par ailleurs, peut-on vraiment incriminer l'allié américain, si les industries de défense européennes - et les stratégies de défense - coopèrent si peu ? Est-ce la faute de Wall Street si l'union bancaire tarde tant ? Est-ce la Silicon Valley qui empêche les Européens d'aller plus loin dans des organes de régulation digitale véritablement communautarisés ? Quid d'un contrôle aérien mutualisé au lieu d'être fractionné en 27 zones ? Les exemples restent nombreux où une Europe dispersée ne fait pas assez le poids.
Et de façon bien plus grave encore, quelles auraient été les fameuses réponses autonomes européennes - et française - devant les attaques successives de la Russie sur sa périphérie, sans la contribution militaire dominante des États-Unis et de leurs instruments extraterritoriaux de mise en œuvre des sanctions ?
Il y a et il y aura toujours des divergences d'intérêts avec les États-Unis, compte tenu de la variété de nos relations et de la position dominante de l'Amérique sur de grands secteurs d'avenir. Ne nous abritons pas derrière des divergences de valeurs pour nous replier vers des solutions imaginaires, et n'inventons pas des divergences stratégiques que nos adversaires exploiteront aussitôt, et plus encore dans une Europe tiraillée de l'intérieur. Les débats entre alliés sont normaux. En période de guerre, ils ne doivent sans doute pas être menés à ciel ouvert, et ils doivent être relativisés par rapport à ce qui nous unit.
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