Si elle parvient à surmonter cette rivalité sino-américaine, TSMC, qui est aussi la société la plus valorisée sur le marché boursier taïwanais, bénéficie d’une position clé pour tirer profit du déploiement de la 5G. TSMC est aujourd'hui la seule société, avec Samsung, à fabriquer la technologie de production de puces de 7 nanomètres destinée aux circuits intégrés alimentant les smartphones les plus avancés. Cette offre de TSMC est sur le marché depuis 2018. Intégrée au sein des smartphones les plus pointus, elle est achetée par les principaux acteurs du déploiement de la 5G, parmi lesquels HiSilicon, Broadcom ou encore MediaTek. Le processeur Kirin 980 de Huawei l’utilise par exemple. TSMC a récemment annoncé que sa production de semi-conducteurs de 7 nanomètres serait insuffisante pour répondre à la demande au quatrième trimestre 2019, et peut-être même en 2020, du fait de la commercialisation de la 5G.
La position de TSMC paraît solide : l’avance technologique qu’elle a sur ses concurrents se consolide, voire s'accroît. TSMC est déjà en piste pour se lancer dans la production de puces électroniques de 5 nanomètres dès 2020. L’entreprise prévoit un investissement de 10 milliards de dollars à Tainan, au sud de Taïwan, pour la prochaine génération de puces, celle de 3 nanomètres. Ces différentes étapes augmenteront encore la vitesse des microprocesseurs et autoriseront l'ajout de nouvelles fonctions aux smartphones - en d'autres termes, la R&D déployée par TSMC en matière de hardware agit comme un facilitateur de la révolution permise par la 5G et l’intelligence artificielle. Cela est rendu possible par le fait que le ticket d'entrée pour construire des usines de nouvelle génération exige un tel investissement en capital et en ressources humaines que la plupart des fonderies ne peuvent tout simplement pas suivre. La société taïwanaise UMC et la fonderie américaine Global Foundries ont d’ores et déjà annoncé qu'elles n'iraient pas, dans leurs investissements, au-delà des puces électroniques de 14 nanomètres.
À Taïwan, beaucoup sont confiants sur le fait que la technologie des semi-conducteurs de pointe restera à Taïwan. L'usine de fabrication de TSMC à Nanjing, estimée à 3 milliards de dollars, ne produit que des puces de 16 nanomètres. Selon l'ancien PDG d'UMC, Jackson Hu, il est économiquement judicieux pour HiSilicon de se concentrer sur la conception de puces électroniques, et le rattrapage est extrêmement difficile car "le degré de spécialisation propre à la maîtrise de la technologie des processus est si élevé que Huawei aurait besoin d'équipes entières" - ainsi, selon lui, des recrutements individuels ne résoudront pas le problème de Huawei.
L’équipe dirigeante de TSMC présente un “ADN américain”. La plupart des dirigeants ont été formés aux États-Unis et certains ont un passeport américain. TSMC vit une histoire difficile avec la Chine, face à la constante nécessité de protéger sa technologie contre le vol ou contre les transferts de technologie intangibles qui passent par les recrutements. En 2009, TSMC a même obtenu réparation de la part de SMIC, la société de semi-conducteurs basée à Shanghai, qui avait détourné sa propriété intellectuelle. Si TSMC devait choisir entre les États-Unis et la Chine, il ne fait aucun doute que l'entreprise choisirait aujourd'hui les États-Unis.
L'implication de Taïwan dans la chaîne d'approvisionnement de Huawei démontre qu'il s'agit d'un aspect important du projet 5G chinois. Les débats européens en la matière se concentrent, à juste titre, sur les notions de risques en matière de sécurité et des avantages excessifs qui seraient laissés à la Chine. La Chine a récemment annoncé un plan visant à accélérer le déploiement de l'infrastructure domestique 5G "non-standalone", autrement dit la 5G s’appuyant sur un cœur de réseau 4G. L'un des effets escomptés est un coup de pouce considérable aux fabricants chinois de smartphones 5G, afin qu’ils réalisent des économies d’échelle, réduisent considérablement leurs coûts par rapport à leurs concurrents et conquièrent une position dominante à l’échelle mondiale. Les fabricants taïwanais cherchent à gagner cette bataille aux côtés des entreprises chinoises, en particulier en tirant parti des efforts menés par Huawei pour réduire sa dépendance à l’égard des composants américains.
Huawei a déjà plus de 50 contrats commerciaux internationaux assurés avec des opérateurs de télécommunications pour la construction de leurs réseaux 5G. Pour les stations de base et les smartphones 5G, la dépendance de Huawei à l'égard de Taïwan va augmenter - cela, en totale contradiction avec les tensions que l’on note aujourd’hui dans les relations entre les deux rives du détroit de Taïwan. Tout ceci invite à conclure que le régime américain de contrôle des exportations tel qu’il est conçu aujourd’hui, et affaibli par son régime d'exemptions, ne parviendra guère à affaiblir l'offre d’équipement 5G de Huawei.
Copyright : SAM YEH / AFP
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