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13/11/2020

L’intelligence artificielle contre le Covid-19 : améliorer la recherche et accélérer le diagnostic

Trois questions à David Gruson

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L’intelligence artificielle contre le Covid-19 : améliorer la recherche et accélérer le diagnostic
 David Gruson
Directeur du Programme Santé Jouve et fondateur d’Ethik-IA

L'Agence britannique de réglementation des médicaments et des produits de santé (MHRA) prévoit d'utiliser l'intelligence artificielle pour passer au crible les effets indésirables des vaccins contre le Covid-19 dans les mois à venir, puisque le pays se prépare, comme la France, à un programme d'inoculation d'une ampleur sans précédent. Un contrat gouvernemental montre que l'Autorité de réglementation a payé une société de logiciels £1.5m pour développer un outil d'IA capable de traiter les réactions indésirables du vaccin contre le Covid-19. En France, comment l’IA peut-elle accompagner les décideurs et les acteurs de terrain pour lutter contre le Covid ? David Gruson, Directeur du Programme Santé Jouve et fondateur d’Ethik-IA a répondu aux questions de Laure Millet, responsable du Programme santé de l’Institut Montaigne.

Comment l'intelligence artificielle peut-elle aider les décideurs publics et les soignants à lutter contre la pandémie et en faire un outil d'aide à la décision ?

Tout d’abord, il faut être très clair : l’IA n’a joué jusqu’ici qu’un rôle très subsidiaire en France. La réponse à la crise a été et reste principalement humaine, dans des conditions parfois rudimentaires. Il faut saluer le rôle essentiel joué par les professionnels en première ligne. 

Pour autant, dans la réponse au Covid-19, certains pays – en particulier en Asie – ont eu plus largement recours que d’autres à l’intelligence artificielle, au pilotage par les données et aux technologies numériques. Des dispositifs de reconnaissance faciale ainsi que l’utilisation de thermomètres connectés ont permis la surveillance de la température et l’identification de personnes à risque d’être positive au Covid-19. Les données de géolocalisation ont été largement utilisées pour connaître les flux des personnes et bloquer certains déplacements. D’un point de vue plus spectaculaire et pouvant même relever d’images de science-fiction, nous avons vu aux États-Unis des drones assurant des livraisons diverses (nourriture, médicaments, kits de test, etc.). Ils ont aussi été utilisés en Chine pour décontaminer massivement des zones confinées. Des robots ont été introduits dans certains hôpitaux, pour accompagner voire renforcer les équipes médicales, assurer une présence auprès des patients et répondre à leurs besoins, décontaminer certains services, etc. 

L’IA n’a joué jusqu’ici qu’un rôle très subsidiaire en France.

Mais au-delà des recours à ces dispositifs fortement visibles et dont les usages ont été pour certains contestables au regard des principes de nos sociétés démocratiques, le recours à l’intelligence artificielle en temps de crise épidémique porte aussi la promesse d’accélération de certains procédés relevant aussi bien du diagnostic que de la recherche.

Des méthodes diagnostiques reposant sur la reconnaissance d’images par apprentissage machine permettraient un diagnostic beaucoup plus rapide et efficace sur la base de clichés de tomodensitométrie (technique d'imagerie médicale qui consiste à mesurer l'absorption des rayons X par les tissus puis, par traitement informatique, à numériser et à reconstruire des images 2D ou 3D des structures anatomiques). 

Le Royaume-Uni s’apprête à lancer un essai clinique pour un vaccin contre le Covid-19 à grande échelle ; comment l'IA peut permettre d'accélérer la recherche et la mise sur le marché d’un vaccin ? 

L’IA induit aussi un potentiel d’apport majeur concernant l’identification d’éventuels traitements efficaces. Des modèles testent actuellement l’efficacité de certaines molécules disponibles sur le marché au niveau de la structure protéique du virus. Cette première sélection permettrait ensuite la mise en place de protocoles sur ces molécules pré-identifiées. Nous sommes sur le domaine des essais cliniques dits "in silico", essai effectué au moyen de calculs complexes informatisés ou de modèles informatiques, qui visent à retarder le plus possible l’exposition et les tests sur les personnes humaines. 

Pour autant, il n’a pas été fait mention à ce stade d’un recours à l’intelligence artificielle dans la production des candidats-vaccins qui ont jusqu’ici fait l’objet de communications. Un précédent existe avec un vaccin contre la grippe, comme l’avait démontré une étude australienne de 2019. Pour autant, cet exemple apparaît, en l’état, très difficilement duplicable dans un domaine aussi sensible que ce contexte marqué par le Covid-19. Le principe de garantie humaine dans le recours à l’IA et le numérique en santé – que nous avions proposé il y a trois ans avec Ethik-IA et qui figure désormais dans la loi de bioéthique – doit ici jouer tout son rôle protecteur.

L’accélération de la transformation digitale de notre système de santé [peut] apporter une contribution décisive dans ce combat.

C’est aussi le message au cœur de mon livre S.A.R.R.A, une fiction d’anticipation publiée en 2018, qui alertait sur les risques potentiels associés à un recours non régulé à l’IA face à une crise épidémique majeure.

Une fois que le vaccin sera disponible, comment l'IA pourra-t-elle permettre d'améliorer le suivi des patients vaccinés (efficacité du vaccin, besoin d'un rappel, effets secondaires, etc.), la surveillance de l’évolution de l’épidémie et de l’immunité collective ? 

Clairement, l’IA a déjà fait ses preuves dans l’engagement de grands programmes de pilotage par les données à des fins de santé publique sur une échelle populationnelle. Nous devrons collectivement ne pas rater ce cap de la mobilisation de ces nouveaux leviers de data management. Pour autant, nous n’en sommes pas encore là, loin s’en faut. La priorité est d’abord à donner à la lutte contre l’épidémie et au déploiement effectif de l’ensemble des méthodes de protection et de distanciation physique. Le pilotage par les données de santé – suivi d’indicateurs épidémiologiques, contact tracing – et plus largement l’accélération de la transformation digitale de notre système de santé peuvent, par ailleurs, apporter une contribution décisive dans ce combat. 

 

 

Copyright : JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

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