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10/10/2022

L'Institut Montaigne éclaire : les élections de mi-mandat aux États-Unis 

L'Institut Montaigne éclaire : les élections de mi-mandat aux États-Unis 
 Louise Chetcuti
Auteur
Chargée de projets - États-Unis et Transatlantique

Les élections législatives de mi-mandat, ou “midterms”, auront lieu le 8 novembre prochain aux États-Unis. Les résultats seront déterminants pour la suite du mandat de Joe Biden, qui aura besoin de conserver sa majorité parlementaire pour gouverner. À un mois du scrutin, Louise Chetcuti, chargée de projet éditorial, revient sur le fonctionnement des midterms, leur poids politique et leurs principaux enjeux dans ce dernier Explainer de l'Institut Montaigne.

Les midterms, c'est quoi ? 

Les élections américaines de mi-mandat sont des élections législatives qui se tiennent à la moitié du mandat de quatre ans du président (d'où le nom de "midterms"), toujours les années paires, le mardi suivant le premier lundi de novembre. La dernière élection de mi-mandat s'est tenue en 2018, après l'élection du président Trump en novembre 2016. Par définition, aucune élection de mi-mandat n'a lieu pendant une année d'élection présidentielle.

Lors de ces élections, les Américains votent directement pour leurs représentants au niveau national et au niveau local - les membres du Congrès (tous les députés de la Chambre des représentants et un tiers des sénateurs), les gouverneurs et les maires. Elles concernent tous les échelons de pouvoir. Ce modèle d’élection à mi-mandat, qui donne la victoire au suffrage direct, s'oppose à l'élection présidentielle et à son système indirect, le fameux collège électoral.

Pourquoi ces élections de mi-mandat sont-elles si importantes ?

Moins couvertes par la presse internationale, et comptabilisant un taux de participation systématiquement inférieur à celui des élections présidentielles, les midterms ont une véritable incidence sur le fonctionnement du gouvernement américain. Elles déterminent l'équilibre des pouvoirs au Congrès (parlement bicaméral composé de la Chambre des représentants et du Sénat) et, ce faisant, influent à la fois sur le contenu des futurs projets de loi et sur leur capacité à être adoptés. Les Démocrates ont actuellement la majorité à la Chambre des représentants et au Sénat - quoi qu’une majorité infime. 

Si les Républicains l'emportent en novembre, ils utiliseront leurs nouvelles majorités à la Chambre, et peut-être au Sénat, pour surveiller de très près l'administration Biden et cela pourrait se traduire par une paralysie certaine de l’agenda législatif présidentiel. Ce dernier (qui avait déjà eu du mal à faire passer des projets de lois sur la fiscalité, le climat et l'énergie) aura encore plus de mal à obtenir un soutien bipartite pour les priorités politiques des Démocrates. De manière générale, le parti qui contrôle le Congrès contrôle l'agenda politique. 

Les élections de mi-mandat tiennent presque toujours le rôle de référendum pour ou contre le président en place depuis deux ans et reflètent la perception qu'ont les électeurs des performances du parti au pouvoir. Le scrutin est souvent perçu par les commentateurs politiques comme un indicateur du parti qui prendra le contrôle de la Maison Blanche deux ans plus tard. Ainsi, le 8 novembre les Américains décideront s’ils veulent encore donner une majorité parlementaire à Joe Biden pour gouverner, ou s'ils préfèrent voir les Républicains peser davantage.

Une règle infaillible dans l'histoire politique américaine veut que le parti du président perde presque toujours du terrain lors des élections de mi-mandat. 

Une règle infaillible dans l'histoire politique américaine veut que le parti du président perde presque toujours du terrain lors des élections de mi-mandat. Lors des midterms de 2006, le Grand Old Party (GOP - le surnom du parti Républicain) du président George W. Bush, répudié par les électeurs, perdait 39 sièges à la Chambre et au Sénat, permettant aux démocrates d’en reprendre le contrôle, ainsi que la majorité des postes de gouverneurs du pays pour la première fois depuis la révolution républicaine de 1994 (nom que le Parti républicain donne à son succès aux élections législatives et élections sénatoriale).

Bush l'avait décrit comme une "raclée" (en anglais a "thumping"). Après les élections de mi-mandat en 2010, le président Obama, dégrisé, avait reconnu que la perte dévastatrice de 63 sièges à la Chambre des représentants et de 6 sièges au Sénat par son parti avait été "un coup dur" (en anglais "a shellacking"), première mise à l’épreuve de la relation forte qu’il entretenait avec l'électorat américain. Enfin, en 2018, durant le mandat de Donald Trump, la Chambre des représentants a connu un virage à gauche, ou "vague bleue", au cours de laquelle le Parti républicain a dû céder 41 sièges. Selon le Pew Research Center, plus de la moitié des électeurs américains avaient participé cette année-là, portant les midterms de 2018 au taux de participation le plus élevé des dernières décennies. Elles ont renforcé l'élan du parti démocrate et révélé les vulnérabilités du GOP avec Trump à sa tête. Il reste à voir si un "raz de marée républicain" pourrait frapper le camp démocrate du président Biden en 2022. 

Les élections de mi-mandat de 2022 

À l'occasion de ce cycle, les Américains votent pour le renouvellement complet de la Chambre des représentants (435 représentants) et pour un tiers du Sénat (35 des 100 sièges). Les sénateurs sont élus pour six ans et, tous les deux ans, environ un tiers doivent être élus ou réélus. La Chambre des représentants, elle, est renouvelée entièrement tous les deux ans et les représentants sont élus pour deux ans. En outre, 36 des 50 États éliront des gouverneurs, notamment neuf des dix plus grands États (certains candidats sortants se représentent : les Démocrates Gavin Newsom en Californie et Kathy Hochul à New York, et les Républicains Ron DeSantis en Floride et Greg Abbott au Texas). Des milliers de législature d'État (l'institution législative dont est dotée chacun des États américains) figurent également sur les bulletins de vote. Il s'agira de la première élection suivant le nouveau "redistricting" (redécoupage des circonscriptions électorales communément) issu des résultats du recensement de 2020, un processus de comptage décennal de la population lancé sur la base des dernières données de recensement pour tenir compte des évolutions démographiques du pays. Durant plusieurs mois, les cartes du Congrès et des législatures des États sont redessinées à l'aide des nouvelles données de recensement afin de garantir une représentation égale de tous les Américains.

Les Démocrates disposent actuellement d'une majorité extrêmement étroite au Congrès. Le Sénat est partagé à 50-50 (le vote décisif en cas d’égalité de la vice-présidente Kamala Harris donnant l'avantage aux Démocrates), et le contrôle de la Chambre des représentants par sa présidente, Nancy Pelosi, repose sur une faible marge avec un avantage de 221 à 212 sièges, soit seulement trois de plus que le nombre nécessaire pour obtenir la majorité : les républicains n'ont besoin de gagner que cinq sièges pour regagner la majorité à la Chambre. Au Sénat, le terrain est plus concurrentiel et serait défavorable aux perspectives républicaines selon les prévisions de FiveThirtyEight (site américain spécialisé dans la projection de données). 

La perspective d’une victoire républicaine à la Chambre des représentants pourrait être renforcée par la pratique du "gerrymandering", le redécoupage des circonscriptions électorales par les législatures des États à des fins partisanes (la frontière entre le redécoupage des circonscriptions expliqué ci-dessus, et le gerrymandering est, au mieux, floue). Les Républicains, qui contrôlent la majorité des législatures d'États, ont le dernier mot sur le tracé des districts du Congrès dans 20 États, contre 8 pour les démocrates, et peuvent donc remodeler les districts pour favoriser leurs propres candidats. 

La perspective d’une victoire républicaine à la Chambre des représentants pourrait être renforcée par la pratique du "gerrymandering".

Plusieurs cartes du Congrès définies pour les élections de mi-mandat de 2022 sont encore contestées devant les tribunaux comme étant des "gerrymanders" illégaux, en Alabama, en Géorgie, en Louisiane et en Ohio. David Wasserman, rédacteur en chef du Cook Political Report, qui couvre la Chambre des représentants, a déclaré que l'utilisation des cartes rejetées dans ces États, qui représentent près de 10 % des sièges de la Chambre, était susceptible de donner aux Républicains cinq à sept sièges qu'ils n'auraient pas gagnés autrement. Toutefois, aucune de ces affaires ne semble susceptible d'être renversée avant les élections de mi-mandat, d'autant plus que la Cour suprême est désormais dirigée par des juges conservateurs, dont trois ont été nommés par Trump.

Les élections de mi-mandat sont donc considérées comme un référendum sur le président en place, après deux ans de mandat. À l'approche du scrutin, la faible cote de popularité de Biden (42 % en septembre, soit une légère hausse par rapport aux 38 % qui ont marqué son point le plus bas en juillet comparé aux 39 % de Trump à la même période), le niveau d'inflation jamais atteint depuis des décennies, les effets persistants de la crise du Covid-19 et la perte de confiance vis-à-vis des institutions pourraient augurer d’une vague rouge, donnant le contrôle aux Républicains. Cependant, les prévisionnistes électoraux ont récemment réajusté leurs pronostics, affirmant que le contrôle de la Chambre par le GOP n’est "plus couru d’avance" et craignant que le référendum qu’ils prévoyaient sur Biden ne soit éclipsé par l’ancien président Donald Trump. Le nombre de sièges que le GOP est susceptible de remporter a été revu à la baisse et, dans les courses pour remporter les sièges au Sénat, les candidats Démocrates ont largement dépassé leurs adversaires. Reste à savoir si ces nouvelles perspectives électorales suffiront aux Démocrates pour conserver leur majorité parlmentaire au Congrès. 

Les enjeux qui animent la campagne 

L'inflation et l'économie 

L'économie occupe invariablement la première place des préoccupations des Américains, et l'élection de 2022 ne fait pas exception. Avec une inflation à 8,3 % au mois d'août (selon l'indice des prix à la consommation - CPI - publié par le département du Travail), c’est une "Inflation Election" qui semble se dessiner. Le coût élevé des denrées alimentaires, de l'essence et des produits ménagers pèsera lourd dans les urnes. Selon un sondage du Pew Research Center, environ trois quarts des électeurs inscrits (77 %) ont déclaré que l'économie était très importante pour leur vote.

Une autre victoire législative mérite d'être soulignée : l'Inflation Reduction Act "IRA" (loi sur la réduction de l'inflation), projet emblématique de Biden.

L'inflation assombrit ce qui est par ailleurs une réussite économique pour l'administration Biden : une croissance de l'emploi sur 20 mois consécutifs, un taux de chômage faible (3,5 % en septembre selon le rapport sur l'emploi du département du Travail), une baisse régulière du prix de l'essence après les niveaux record atteints mi-juin, ainsi que la récente remise de 10 000 à 20 000 dollars de la dette étudiante fédérale pour la plupart des emprunteurs - un soulagement financier pour des millions de personnes.

Une autre victoire législative mérite d'être soulignée  : l'Inflation Reduction Act "IRA" (loi sur la réduction de l'inflation), projet emblématique de Biden - et dont le paquet de dépenses a été signé mi-août - qui vise à réduire le déficit national en imposant un impôt minimum de 15 % aux sociétés, à baisser les prix des médicaments sur ordonnance, et à lutter contre le changement climatique en investissant dans la production d'énergie domestique tout en promouvant l'énergie propre.

Régulation des armes à feu et criminalité

Quoique loin derrière l'inflation, la politique en matière d'armes à feu reste l'une des principales préoccupations des Américains. 62 % d'entre eux, selon le même sondage du Pew Research Center, considèrent la régulation des armes à feu et la criminalité violente (60 %) comme déterminantes pour leur vote. Cela étant, tous les électeurs n’accordent pas la même importance à ces questions : les Démocrates sont plus susceptibles que les indépendants ou les Républicains de citer la violence armée comme un problème, tandis que les Républicains sont davantage préoccupés par la lutte contre la criminalité. Ces derniers accusent les Démocrates de faire preuve de laxisme en matière de criminalité pour rallier les électeurs dans l'ensemble du pays. Dans cette phase finale de la campagne, les Républicains mettent davantage l’accent sur la sécurité publique, dans l'espoir d’orienter le débat vers un terrain politique que de nombreux stratèges et candidats du parti considèrent comme leur étant favorable. 

L'importance de la régulation des armes à feu a acquis une nouvelle dimension après plusieurs épisodes notoires de violence armée survenus ces derniers mois - plus particulièrement les fusillades de masse à Buffalo, dans l'État de New York, dans l'école élémentaire Robb à Uvalde, au Texas (qui a fait 31 morts, dont 19 enfants), et lors de la parade du 4 juillet à Highland Park, dans l'Illinois. Le sondage Pew a été réalisé après l'adoption par le Congrès du Bipartisan Safer Communities Act, la première grande loi fédérale bipartisane sur la sécurité des armes à feu adopté depuis deux décennies, promulgué le 25 juin 2022, et après que la Cour suprême se soit prononcée en faveur du droit au port d'armes en public (invalidant une loi new yorkaise qui voulait l’interdire).

L'avortement

La décision prise, en juin dernier, par la Cour suprême d’invalider l'arrêt Roe v. Wade privant l'avortement de sa protection constitutionnelle, a catapulté la question de l’avortement sur le devant de la scène politique. 56 % des électeurs interrogés dans le cadre de ce même sondage ont cité l'avortement comme une préoccupation majeure.

Certaines circonscriptions considèrent même le droit à l'avortement comme leur principale motivation électorale et le renversement de Roe pourrait bien provoquer une mobilisation massive des partisans de ce droit en faveur des Démocrates. En ce sens, la victoire du démocrate Pat Ryan contre le républicain "pro-vie" Marcus Molinaro, lors d'une élection pour le 19ème district de New York, témoigne clairement du pouvoir mobilisateur que peut représenter cet enjeu dans les élections de mi-mandat.

Certaines circonscriptions considèrent même le droit à l'avortement comme leur principale motivation électorale.

En outre, les électeurs du Kansas - État n’ayant pas voté pour un candidat Démocrate à la présidence depuis Lyndon B. Johnson en 1964, et qui avait élu Donald Trump de 15 points en 2020 - ont rejeté un amendement constitutionnel qui aurait interdit l'avortement dans cet État dans un référendum le 2 août.

L'immigration et la frontière

Autre enjeu pour les électeurs américains : l'immigration, éternel sujet de division. Il s'agit d'une préoccupation particulièrement importante pour la droite, dont certains messages télévisés de campagne - comme ceux du gouverneur Brian Kemp en Géorgie, du sénateur Rick Scott en Floride et de la candidate au poste de gouverneur de l'Arizona, Kari Lake - ont employé une rhétorique enflammée décrivant une "invasion" à la frontière Sud. Plus de la moitié des adultes américains (Républicains et Démocrates confondus) pensent qu'il est entièrement ou partiellement vrai que les États-Unis connaissent une invasion à la frontière Sud, selon un sondage NPR/IPSOS du 20 août 2022, tandis que 48 % des électeurs interrogés ont indiqué que le sujet était très important pour leur vote. Certains candidats au Congrès, qui se sont farouchement opposés à l'immigration, pourraient obtenir un soutien massif en exploitant les préoccupations des électeurs, notamment en ce qui concerne la crise frontalière. La surprenante victoire de Blake Masters qui a remporté la primaire républicaine du Sénat dans l’État d’Arizona, peut notamment être attribuée à sa position intransigeante sur l'immigration. Sa course au Sénat contre l'actuel sénateur Démocrate Mark Kelly est d’ailleurs l'une des plus suivies.

Autres enjeux : politique énergétique, politique étrangère, climat et questions ethno-raciales

D'autres enjeux électoraux demeurent cruciaux pour les électeurs, tels que la politique énergétique (53 %), la politique étrangère (45 %), la taille et le champ d’action du gouvernement fédéral (42 %), le changement climatique (40 %) ainsi que les questions ethno-raciales (35 %). Mentionnée par environ un quart des électeurs comme étant importante pour leur vote, la pandémie de Covid-19 arrive en dernier dans le sondage.

Prises séparément cependant, il est important de souligner que les priorités des Démocrates et des Républicains varient. En examinant les préoccupations majeures, côté Républicain, l'économie arrive de loin en tête : neuf électeurs Républicains sur dix considèrent l'économie comme très importante, soit environ 20 points de pourcentage de plus que tout autre enjeu (contre environ 7 électeurs Démocrates sur 10). Parmi les Démocrates, 77 % citent la santé comme un sujet très important, tandis qu'environ deux tiers ou plus disent la même chose de l'avortement et de la régulation des armes à feu (71 % chacun), des nominations à la Cour suprême (69 %) et du changement climatique (66 %). Les Républicains ont résolument de l’avance sur les enjeux d'économie, d'inflation et de criminalité, mais les Démocrates ont l'avantage sur l'avortement et le changement climatique.

À un mois des élections, au milieu de l’impasse politique et de l'instabilité sociale profonde aux États-Unis, rien n'est encore joué s’agissant de l'équilibre des pouvoirs à la Chambre et au Sénat. Le climat électoral de l’automne semble moins défavorable aux Démocrates qu'il ne l’était il y a quelques mois, mais beaucoup d'éléments peuvent évoluer d'ici au 8 novembre et contrer cette tendance.

 

 

Copyright : Anna Moneymaker / Getty Images via AFP

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