Pour autant, des divergences existent. New Delhi boycotte la Belt and Road Initiative chinoise que Moscou approuve, et l’Inde voit avec suspicion les relations croissantes, Afghanistan oblige, entre la Russie et le Pakistan, qui depuis 2017 conduisent des manœuvres militaires bilatérales. La Russie, de son côté, se garde d’utiliser le concept d’Indo-Pacifique cher à l’Inde, et surveille, comme la Chine, ce que pourrait devenir le Quad, forum de dialogue réunissant Etats-Unis, Japon, Australie, Inde.
Le paramètre américain
La Russie ne peut que prendre note du rapprochement Inde / Etats-Unis, esquissé sous Bill Clinton, renforcé sous George W. Bush, et marqué récemment par de multiples accords militaires destinés à accroître l’interopérabilité entre les forces. Mais la règle indienne reste de préserver autant que faire se peut sa marge d’autonomie stratégique. Les partenariats indo-américains ne valent pas alliance. La poursuite des sanctions américaines sous l’administration Trump, et en particulier le CAATSA de 2017 (Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act) pose problème à l’Inde, tant vis-à-vis de l’Iran que vis-à-vis de la Russie. Les deux sont liés du reste, l’Iran étant pour Delhi un Etat clé sur la route de l’Afghanistan et de l’Asie centrale, et pour concrétiser le projet de "Corridor de transport Nord Sud" devant relier Mumbai à Bandar Abbas, Téhéran et à l’Union économique eurasiatique portée par Moscou. Plus directement, les menaces américaines pèsent sur les multiples contrats d’armement (frégates, sous-marins nucléaires, chars T-90MS) décidés ou en cours de négociation. Le sort des missiles anti-aériens S-400 voulus par New Delhi sera emblématique à cet égard.
En 2015, Andrei Volodin voyait dans la position indienne sur la Crimée l’expression d’un soutien indien à "une architecture polycentrique globale", et le double refus d’une Pax Americana et d’une Pax Sinica. D’autres observateurs russes, plus sévères, jugent insuffisante la relation bilatérale, faute d’échanges économiques satisfaisants et de soft power russe en Inde, et s’interrogent sur les contrecoups des sanctions américaines.[1]
Mais tous considèrent, comme nombre d’observateurs indiens, que "les deux nations ont une profonde consonance stratégique, tout en acceptant un degré de flexibilité sur certaines questions". Le Forum de Vladivostok, et le vingtième sommet bilatéral qui s’y tint aussi, ont cherché à dynamiser cette vieille relation dans un contexte international défini pudiquement comme "complexe". En ce sens, les partenariats bilatéraux ne contrarient pas la diplomatie tous azimuts que poursuit l’Inde de Narendra Modi après celle du parti du Congrès, la dialectique de ces deux dynamiques traduisant parfaitement la construction d’un monde multipolaire faisant face à la compétition croissante entre Chine et Etats-Unis.
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[1] Alekseï Zakharov. Deux amis dans le besoin. Où va le partenariat stratégique russo-indien ? Russie.Nei.Visions, n° 116, IFRI, oct. 2019
Copyright : Mikhail KLIMENTYEV / SPUTNIK / AFP
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