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11/09/2019

L’heure de l’Europe de l’innovation aurait-elle sonné ?

L’heure de l’Europe de l’innovation aurait-elle sonné ?
 Gilles Babinet
Auteur
Ancien conseiller sur les questions numériques

Hier, Ursula von der Leyen a dévoilé les compétences attribuées à chaque membre de son Collège de commissaires, et confirmé son ambition d’une Europe politique, concentrée sur des priorités clairement identifiées, comme celle d’une ambition environnementale très forte. Force est de constater, au vu des choix annoncés, que le numérique et l’innovation figurent en bonne place dans ces ambitions affichées, et que ces dossiers seront portés par trois femmes qui ont déjà fait la preuve de leur compétence et de leur détermination.
 
Si elle était attendue, la nomination de Margrethe Vestager au poste de vice-président de la commission, en charge du numérique, est un élément essentiel. Celle qui était un moment pressentie pour prendre la présidence de la Commission se retrouve donc avec un poste taillé sur mesure pour elle, lui permettant de continuer à superviser les enjeux de concurrence et de régulation des plateformes et dans le même temps de couvrir le portefeuille numérique. Ceux qui ont eu l’occasion de la côtoyer savent combien Madame Vestager considère que l’Europe n’a pas la place qu’elle mérite dans le numérique. Elle milite tout à la fois pour un contrôle beaucoup plus fort des méta-plateformes (aucune n’est exempte de reproche à son sens), et dans le même temps pour l’émergence d’une économie européenne numérique forte, suivant son propre modèle.À noter, et ce n’est pas anodin, que Margrethe Vestager prend également en charge la stratégie industrielle de l’Europe. Au moment où il s’agit de redéfinir à nouveaux frais le concept même de politique industrielle, l’affirmation d’un lien intrinsèque avec le numérique est centrale.
 
Sous l’égide de la vice-présidente de la commission, avec laquelle elle entretient d’excellentes relations, l’ancienne commissaire au numérique, Mariya Gabriel, garde un rôle majeur, en prenant l’autre portefeuille convoité par la jeune garde technologique, celui de l’innovation, où elle pourra continuer à faire valoir sa capacité de travail, son verbe tranché, et, il faut l’avouer, son excellente intuition politique. Certains pourraient trouver curieux qu’on ait adossé à cela la jeunesse. L’un des objectifs en est sans doute de mieux synchroniser des grands programmes européens comme Erasmus avec l’apprentissage et la recherche, pour en accroître l’efficacité.
 
Enfin, la française Sylvie Goulard hérite du portefeuille du marché intérieur, une tâche particulièrement technique à laquelle sera adossé le développement de l’ossature d’une politique européenne de défense, et notamment de cyber-défense. On a parlé cet été de l’idée d’un fonds souverain européen de 100 milliards d’euros, tourné vers l’innovation et le numérique : si ce projet doit voir le jour, nul doute que Sylvie Goulard y jouera un rôle clé. Quoi qu’il en soit, en récupérant la DG-Connect, l'administration du numérique européenne, Sylvie Goulard prend en charge ces sujets tout en étant rattachée à la vice-Présidente Vestager répliquant ainsi le tandem Ansip - Gabriel qui existait au sein de la précédente mandature.
 
L’impression générale qui se dégage de cette nouvelle architecture est donc celle d’une volonté d’activisme beaucoup plus forte sur les sujets numériques et de politiques industrielles numériques. On a peut-peut-être enfin compris que les dynamiques observées en Chine et aux États-Unis, sans parler d’Israël, sont avant tout la conséquence de politiques publiques coordonnées, largement sous l’égide de l’outil militaire. Nombreux sont ceux - dont je fais partie - qui pense qu’une Europe réduite à un espace de libre échange n’avait d’autre vocation que celle de s’anéantir, tant les forces extérieures sont et seront structurées et puissantes. On regrettera seulement que Mariya Gabriel n’ait pas un mandat plus explicite à l’égard de l’enseignement supérieur. L’Europe souffre d’un manque massif et chronique de compétences numériques, et les systèmes universitaires nationaux semblent, bien en peine de développer les filières qui permettraient de répondre à court ou moyen terme à ces besoins, à commencer par la France.

 

Copyright : Jean-Marc Ferré / UN Photo - © European Union 2016 - European Parliament - EMMANUEL DUNAND/AFP/Getty Images

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