Un test majeur de l’effet réel de la manœuvre autour de la démission de Zarif, si celle-ci a bien été orchestrée par le camp modéré, sera la levée ou non des obstacles posés par le conseil de discernement au vote des lois de conformité avec le GAFI.
Trois autres conclusions se dégagent des entretiens que l’Institut Montaigne a pu avoir ces derniers jours à Téhéran.
- La mise en œuvre des sanctions américaines a d’ores et déjà des effets dévastateurs sur l’économie du pays : dévissage de la monnaie nationale, inflation élevée, restrictions considérables des importations, baisse de la production industrielle, etc. De nombreux jeunes gens qualifiés (peut-être la moitié de la classe d’âge arrivant annuellement sur le marché du travail) ne trouvent pas d’emploi, des licenciements massifs ont cours et il n’est pas rare de rencontrer des employés dont le salaire n’est plus payé depuis des mois.
Cette situation résulte principalement de la baisse des ventes de pétrole : celles-ci s’établissent aujourd’hui à environ 900 000 barils/jour (environ 10 fois moins que l’Arabie saoudite). Les "exemptions" accordées à certains pays par l’administration Trump arrivent à échéance début mai. On s’attend qu’une partie au moins de ces exemptions ne soient pas prolongées, ce qui entraînera une baisse des enlèvements de pétrole iranien à des niveaux historiquement bas et une pression considérable sur les réserves de change du pays.
- Les Européens ont un travail important à effectuer pour "vendre leur politique". Les Iraniens jugent évidemment insuffisante la mise en place de l’instrument financier (INSTEX : Instrument for Supporting Trade Exchanges) créé à grand peine par l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni pour faciliter certains échanges commerciaux avec l’Iran. INSTEX notamment n’est pas destiné à contourner les sanctions américaines, mais à opérer dans les (rares) secteurs non touchés par les sanctions (biens humanitaires, médicaments). Les "conservateurs" en tirent argument pour effectuer un amalgame entre le caractère limité d’INSTEX (volontiers qualifié d’ "humiliant" pour l’Iran) et les exigences posées par le GAFI. Cela leur permet de discréditer les deux démarches à la fois, sur le thème : "ils n’ont rien de substantiel à offrir, tout en exigeant que nous nous alignions sur leurs lois en matière de finance".
Un effort de pédagogie vis-à-vis de certains milieux est donc nécessaire pour sortir du piège potentiel d’un "linkage", comme disent les diplomates, entre les deux dossiers.
- Enfin, la chorégraphie de la visite d’Assad confirme que la politique régionale de l’Iran est bien entre les mains de l’aile dure du régime, notamment les Gardiens de la Révolution islamique.
On pouvait avoir l’impression, depuis l’automne dernier, que l’Iran avait revu à la baisse sa politique de dissémination de milices chiites dans la région, y compris en Syrie. Une évaluation en ce domaine reste toujours incertaine. Ce qui est clair en revanche, c’est que le programme balistique de Téhéran demeure soutenu (doublement des essais en un an), de même que sa politique de transferts de missiles à ses proxys régionaux, bien au-delà du Hezbollah. Un de nos interlocuteurs nous déclaré : "Nous sommes passés d’un moment nucléaire à un moment balistique".
Si cela est vrai, on peut en inférer deux conclusions. D’une part, il est à craindre que les Iraniens se préparent, dans la perspective de l’aggravation de leur situation intérieure due aux sanctions, à une confrontation régionale où ils seront en mesure de faire usage d’une capacité offensive balistique importante. D’autre part, peut-être y a-t-il place, avant qu’il ne soit trop tard, sur cette question des missiles, pour une initiative des grandes diplomaties européennes comparable à celle qui avait eu lieu en 2003 (Cf. la visite Villepin- Straw-Fischer à Téhéran) sur le programme nucléaire.
Ajoutons qu'au moment où cet article paraît, on apprend la condamnation à 38 ans de prison et 148 coups de fouet de Nasrin Sotoudeh, célèbre avocate iranienne et défenseur des droits de l'Homme. Cette sentence terrible est un autre signe du durcissement du régime de Téhéran ; elle constitue un autre défi majeur pour la politique iranienne des Européens
Copyright : ATTA KENARE / AFP
Ajouter un commentaire